vendredi 19 janvier 2018

Fragments de torpeur thaïlandaise (Bangkok nites)

Katsuya Tomita est japonais, mais il connait manifestement très bien la Thaïlande. Pour essayer d’expliquer ce qu’est « Bangkok nites », on pourrait en effet le résumer comme un portrait de ce pays. Le film raconte comment y sévit la pire forme du capitalisme mondialisé, le tourisme sexuel (et psychotrope), favorisé par des rapports coloniaux encore latents avec le Japon. L’œuvre de Tomita n’est pas encore très fournie (quatre films, dont seuls les deux derniers sont sortis en salles en France), mais elle est déjà très dense, rien que par l’ampleur de ces films – « Bangkok nites » dure plus de 3h !


Réalisme hallucinatoire
Le film commence fort : dès la scène d’ouverture, on est dans la sidération. Les premières minutes exposent brillamment les mécaniques de la société qui sera décrite tout au long du film, avec une mise en scène faussement simple à la grande puissance visuelle. Après cette embardée initiale, le film se calme en gardant un rythme égal, pendant que la mise en scène fait lentement évoluer le portrait social, qui semblait coller au présent le plus contemporain (déjà très riche), vers un portrait à plusieurs composantes, d’une grande profondeur. Le réalisateur réussit en effet à faire surgir (parfois littéralement) de sa description du présent ses racines historiques, dans une construction subtile, complexe et très belle.
La narration fait toute l’originalité du travail de Katsuya Tomita. Les scènes s’enchaînent, mais elles ne sont que lâchement liées par une intrigue, qui se révèle petit à petit mais reste très flottante. Cela produit une sensation de réalisme, puisque les événements semblent advenir « naturellement », sans obéir à une logique narrative dépassant les personnages. On ne comprend ainsi pas vraiment si les scènes qui nous sont montrées ont une importance, voire si elles ont un sens, ou s’il ne s’agit tout simplement que de de montrer du « présent ».
Par cette manière très diffuse de raconter une histoire, le film acquiert vite une structure brumeuse se rapprochant de celle des rêves… Ou plutôt d’hallucinations, puisque de manière surprenante, le réalisateur se permet de manière inopinée des tentatives stylistiques qui paraissent toujours incongrues (irruptions de bruitages, de ralentis, plans figés, sursaturation de l’image,…) car elles ne sont jamais reproduites. Ces hallucinations secouent le film de sa torpeur, tout en le rapprochant encore plus de la texture des rêves. Ces hallucinations peuvent être aussi prises au sens propre : le réalisme déployé par le film n’empêche pas de brèves apparitions de fantômes et même de créature mythologique. Des apparitions qui font forcément penser au cinéma du cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, dont le film se rapproche.
« Bangkok nites » ne peut ainsi être mieux décrit que par l’expression « réalisme hallucinatoire ». Mais la beauté de ce style parait à la longue un peu vaine lorsque, même sur la fin, la fiction reste obstinément éthérée, au point de virer à l’insignifiance ou à l’incompréhensible.

On retiendra…
Un portrait sidérant de la Thaïlande, racontée par le biais d’une fiction très lâche développant un « réalisme hallucinatoire » unique.

On oubliera…
La longueur du film est parfois pesante, de même que la signification hermétique de certaines des scènes finales.


« Bangkok nites » de Katsuya Tomita, avec Subenja Pungkorn, Katsuya Tomita,…

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