lundi 18 décembre 2017

L’espoir déçu (Star Wars VIII, les derniers Jedi)

La politique éditoriale de Disney
L’épisode VIII de la saga « Star Wars » est le troisième film « Star Wars » que l’on voit en trois ans. La sortie de la première trilogie s’était étalée sur six ans (1977-1983), de même pour celle de la deuxième (1999-2005). Disney va maintenir le rythme d’un film « Star Wars » par an jusqu’à au moins 2020… Cette densité anormale de films explique peut-être en partie la lassitude ressentie en sortant de la projection de ce nouveau long-métrage. En partie… car « Les derniers Jedi » est sans conteste le plus mauvais des trois films « Star Wars » produits par Disney.
En 2015, JJ Abrams avait relancé la saga en lui restant très fidèle. Il avait formidablement ressuscité l’esprit de la première trilogie (IV – V – VI), mais quelque peu déçu sur l’absence réelle de nouveauté formelle et narrative apportées à la saga. Un an plus tard, « Rogue One » de Gareth Edwards avait répondu à ces déceptions en réalisant un film qui mettait à mal tous les codes du film « Star Wars », faisant souffler un vent d’air frais dépoussiérant cet univers.
Chargé de prendre le relais de JJ Abrams pour réaliser l’épisode VIII, Rian Johnson, l’auteur de l’excellent « Looper », a positionné son film (ou a été obligé de positionner son film, on ne sait pas trop qui du réalisateur ou du producteur décide de ces directions à Disney) entre « Le réveil de la Force » et « Rogue One », soit entre tradition et révolution. Mais il rate les deux.


La Force s’est réveillée fade
C’est en regardant « Les derniers Jedi » que l’on se rend compte du talent dont a fait preuve JJ Abrams pour renouer avec l’esprit des films originaux. Ce n’était peut-être pas très audacieux (mais l’épisode VII était pensé comme une introduction), pour autant ce n’était non plus facile à faire. La preuve en est apportée aujourd’hui, puisque Rian Johnson échoue complètement à renouer avec cet esprit. Sauf exceptions, « Les derniers Jedi » est fade, pas drôle, ennuyeux, répétitif et parfois ridicule.
La légèreté retrouvée dans l’épisode VII s’est envolée dans l’épisode VIII, la faute notamment à des idées de gag qui ne font pas rire. L’humour est difficile à maîtriser, tant il tient à si peu de choses… mais ici il ne fonctionne pas Ainsi, les personnages apparus dans l’épisode précédent (Rey, Finn, Poe,…), que l’on était content de retrouver, ont ici perdu de leur pouvoir comique. Ils paraissent très caricaturaux, semblant incapables de la moindre évolution psychologique (ce qui n’a d’ailleurs jamais été le point fort de la saga). Par exemple, Poe Dameron est une tête brûlée, il le restera quoi qu’il lui arrive… Les réactions des personnages sont si prévisibles qu’ils deviennent complètement vains.
Quant aux nouveaux personnages introduits dans cet épisode, ils dessinent une « peoplisation », inédite de « Star Wars », des plus malvenues : Benicio del Toro n’arrive pas à faire oublier qu’il est Benicio del Toro. Les anciens personnages (Luke et Leia) ne sont pas mieux dessinés : leurs comportements sont eux-aussi caricaturaux. Par exemple, de l’émotion qu’avait réussi à susciter JJ Abrams dans le dernier plan du « Réveil de la Force » avec le retour à l’écran de Mark Hamill, il ne reste ici plus rien. Les leçons sur la Force qu’il professe à Rey semblent la bouleverser mais ne soulèvent rien chez le spectateur, tant les discours prononcés sont ridicules. Le manque d’idées originales et drôles dans toute cette partie est criant.

Rereremake
Pour résumer, cet épisode raconte la fuite des troupes de la Résistance face aux troupes plus nombreuses et mieux armées du Premier Ordre. On voit d’abord la Résistance fuir la surface d’une planète, puis fuir à bord de vaisseaux dans l’espace, puis fuir une forteresse sur la surface d’une planète. Une course-poursuite linéaire n’est pas forcément un mauvais scénario, comme l’a on ne peut mieux démontré « Mad Max Fury Road ». Mais ici, ce qui est raconté est chaque fois la même chose : pour contrer le Premier Ordre, il faut une mission-suicide (plus ou moins compliquée) : détruire un vaisseau, un disjoncteur, une nouvelle « Etoile de la Mort » en version terrestre… Or ce schéma narratif était déjà celui des deux derniers films « Star Wars » ! Sa triple répétition, dans un même film, donne la terrible impression d’une absence totale d’inspiration des scénaristes, qui semblent avoir été réduits à tracer des boucles narratives pour faire passer le temps d’ici l’épisode IX. A l’image de ce que propose la bande originale de John Williams, qui ronronne sans qu’on y prête attention les thèmes musicaux déjà présentés dans l’épisode VII.

La République en marche
« Les derniers Jedi » n’est cependant pas aussi « immobiliste » que le laisse penser sa structure narrative. A la faveur d’une confrontation entre Kylo Ren et Rey, apparaît en effet une immense lueur d’espoir : la fin du manichéisme. Kylo Ren propose à Rey dans un discours très macronien de le rejoindre et de créer un ordre nouveau, ni Premier Ordre/Empire, ni Résistance/Rébellion. Moment de vacillement : les perspectives narratives ouvertes par ce geste de Kylo Ren sont immenses ! Pour une fois, on ne devine plus vers quoi tend la saga. (C’est à croire que pour écrire cette scène les scénaristes se sont inspirés de la campagne présidentielle française !)
Las. Rey refuse, et le film retombe sur les rails bien rectilignes et prévisibles de la lutte du Bien et du Mal. Et ce, alors même qu'il s’était à un autre moment permis d’esquisser une nouvelle complexité avec le discours du personnage de Benicio del Toro sur les marchands d’arme (pour finalement ne rien en faire).
Pour ces lueurs d’espoir, et les belles idées visuelles déployées par le film, tels que les sillons rouges tracés par les vaisseaux sur la planète où se conclue le film (planète qu’on croirait tout droit sortie des « Star Trek » de JJ Abrams), la chambre d’audience de Snoke (inspirée par la Loge Rouge de « Twin Peaks » ?) ou le moment de silence suivant l’explosion du vaisseau amiral de la Résistance, « Les derniers Jedi » aurait pu séduire. Mais il est beaucoup trop long, pas assez drôle, et l’espoir qu’il suscite est en fait un espoir déçu. Vivement le retour de JJ Abrams.

On retiendra…
Une lueur d’espoir promettant la déviation de l’histoire de « Star Wars » vers des contrées narratives et politiques inconnues…

On oubliera…
… mais bien vite déçue. Cet épisode ronronne dans une routine narrative fatiguée et lassante, qu’on croirait pensée pour faire passer le temps d’ici l’épisode suivant.


« Star Wars VIII » de Rian Johnson, avec Daisy Ridley, Adam Driver, Mark Hamill,…

dimanche 17 décembre 2017

Classique (Vol au-dessus d'un nid de coucou)

Avant de signer en 1964 le monstre littéraire qu’est « Et quelquefois j’ai comme une grande idée », Ken Kesey a publié deux ans auparavant le roman qui l’a rendu célèbre, « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Le livre est aujourd’hui rentré dans la culture populaire grâce à son adaptation cinéma, au point qu’il est impossible de lire le premier roman de Kesey sans associer aux personnages les visages des acteurs du film qui les interprètent, Jack Nicholson en tête.


« Vol au-dessus d’un nid de coucou » nous plonge dans le quotidien de patients d’une section d’un hôpital psychiatrique américain. Tout y est organisé et chronométré d’une main de fer par l’infirmière en chef Mlle Ratched. Jusqu’à l’arrivée d’un patient très turbulent, McMurphy, qui en bousculant l’ordre tyrannique institué par l’impitoyable infirmière, va réveiller beaucoup de consciences parmi les patients du service et raviver leurs espoirs.
L’histoire est narrée à la première personne par un autre patient du service. Cette narration de l’intérieur donne une sensation documentaire au roman, d’autant plus frappante que la réalité qui y est dépeinte témoigne de pratiques aberrantes et méconnues (que l’on espère révolues), notamment l’usage des électrochocs. Infiniment drôle et en même temps très triste – car on se doute dès les premières pages de l’issue de la confrontation entre McMurphy et Mlle Ratched –, « Vol au-dessus d’un nid de coucou » fait vivre avec beaucoup d’émotions une galerie de personnages forcément hauts en couleurs, et se distingue par la sensibilité de sa narration. Le narrateur est en effet victime de douces hallucinations voire de crises de folie, qui confèrent aux situations racontées une poésie à mille lieues de la description froide et clinique du fonctionnement d’un service psychiatrique qu’on aurait pu craindre.
Ce premier roman de Ken Kesey reste son plus connu alors qu'il est bien moins ambitieux et virtuose que « Et quelquefois j’ai comme une grande idée ». L'excellente fortune de l'adaptation cinématographique par Milos Forman de « Vol au-dessus d’un nid de coucou » explique sûrement la différence de notoriété entre ces deux romans, composant l'essentiel de l'oeuvre romanesque de Ken Kesey. Il faut lire « Vol au-dessus d’un nid de coucou »... mais aussi et surtout « Et quelquefois j’ai comme une grande idée » !

« Vol au-dessus d’un nid de coucou » de Ken Kesey (1962)