mardi 7 mars 2017

Spatium opera (Latium)

Après avoir refermé le deuxième tome de « Latium », une certitude : ce space opera n’a pas d’équivalent dans la littérature francophone. Romain Lucazeau, qui signe ici son premier roman (!), fait une entrée pour le moins fracassante dans la science-fiction française. Un énorme livre de près de mille pages (mais découpé, pour des raisons éditoriales, en deux tomes) aux ambitions monstres : Romain Lucazeau entend avec « Latium » extraire le genre du space opera de ses racines anglo-saxonnes et lui donner une nouvelle origine, la philosophie de Leibniz et le théâtre de Corneille [1].

 

A la lecture, « Latium » se révèle foisonnant, complexe, et déroutant par ses partis pris (inédits ?) très forts. Le premier est de raconter une histoire sans aucun être humain. L’intrigue commence en effet des millénaires après la disparition de l’Homme, dans un futur post-post-Singularité. Pour autant l’ « Humanité » n’est pas morte puisque les dernières créations de l’homme, les intelligences artificielles, lui ont survécu. Mais leur existence a perdu tout sens puisque leur esprit est soumis et régi par le « Carcan », règles qui destinaient ces IA à protéger et servir l’homme…
Je n’irai pas plus loin dans le dévoilement de l’intrigue et de l’univers du roman, si ce n’est en précisant qu’il ne s’agit pas d’une anticipation d’un futur (très) lointain mais d’une uchronie – dans cet univers, l’Empire Romain ne s’est jamais effondré, d’où le titre latin du roman. La découverte de la richesse extraordinaire de cet univers est révélée au compte-gouttes par l’auteur avec une grande maitrise et constitue l’un des plaisirs et moteurs de la lecture – si riche en « sense of wonder ».
L’intrigue de « Latium » emprunte en fait à une multitude de références de science-fiction : on retrouve mêlés des éléments du cycle de la Culture de Iain M. Banks, d’ « Ilium » et d’ « Hypérion » de Dan Simmons, de « Dune » de Frank Herbert, du cycle de Robots d’Isaac Asimov, et on pourrait même ajouter le plus récent « Silo » de Hugh Howey. Ces références sautent aux yeux du lecteur, mais sont si bien synthétisées et réinterprétées dans le cadre latin et leibnizien du roman qu’elles en paraissent accidentelles – ce qui est un sacré tour de force vu leur nombres ! L’ambition du roman est parfaitement accomplie : « Latium » semble être issu de l’univers uchronique-même qu’il décrit, où aucun des romans cités plus haut n’aurait existé…
Au-delà de ces références, « Latium » est passionnant de bout en bout, sur la forme comme sur le fond. Le roman est imposant par son nombre de pages, mais l’auteur a tant à décrire et son intrigue est si dense en réflexions développées avec un soin et un didactisme rares (sur le libre arbitre notamment) que l’action en elle-même est finalement très resserrée. Ce pourrait être pesant mais le style est superbe en plus d’être très clair. « Latium » émerveille par sa richesse, sa profondeur et sa beauté.
Une réserve, cependant : si les références sont habilement digérées et réinterprétées, elles n’en restent pas moins trop présentes pour que « Latium » apparaisse comme un roman totalement original – et ce, alors même que le roman ne manque pas d’originalité, loin s’en faut ! Un petit bémol qui ne saurait en aucun cas constituer un prétexte ou une excuse pour se priver de la lecture de « Latium ». Cette œuvre est une date dans l’histoire de la SF française. Et ce n’est que le début, on l’espère, de cette œuvre vertigineuse que ce premier roman de Romain Lucazeau nous promet…

« Latium » de Romain Lucazeau, aux éditions Denoël-Lunes d’encre




[1] A lire dans cette très bonne interview de l’éditeur : http://lunesdencre.eklablog.com/une-interview-de-romain-lucazeau-a126935228

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