jeudi 25 février 2016

Pépite finale (Le trésor)

Il y a des films qui vous marquent à jamais. Des bons, comme des mauvais. « Policier, adjectif » appartenait sans conteste à cette deuxième catégorie. J’ai déjà raconté ici l’incroyable projet artistique de ce film, qui peut se résumer à filmer l’ennui de manière ennuyeuse, et qui avait valu à son réalisateur Cornelio Porumboiu le prix du jury à « Un certain regard » en 2009. En 2015, il revenait à Cannes avec un nouveau film, « Le trésor », qui a lui-aussi été récompensé d’un prix à « Un certain regard ». C’était forcément intrigant. Il fallait retenter l’expérience du cinéma de Porumboiu.


Austère jusque dans son humour
L’argument de « Le trésor » est, comme l’indique son titre, une chasse au trésor. Ne pas s’imaginer pour autant un film d’aventure : le projet cinématographique de Porumboiu n’a pas changé depuis « Policier, adjectif », soit filmer le quotidien dans ce qu’il a de plus déceptif et ordinaire, jusqu’à l’absurdité. Le héros, Costi, se voit proposer par son voisin endetté jusqu’au cou de rechercher dans le jardin d’une maison familiale un trésor supposé enterré avec un détecteur de métal. Dans ce film, on verra donc beaucoup les personnages du film scanner un jardin et y creuser un trou, mais on verra surtout Costi batailler avec l’administration (celle de son employeur, du loueur de détecteur de métal, la police, la banque), dont l’inertie et la corruption seront épinglées avec l’efficacité lente et minimale qui caractérise la réalisation (le film dresse ainsi en filigrane un portrait de la Roumanie d’aujourd’hui).
La forme de « Le trésor » est tout aussi austère que celle de « Policier, adjectif », et donc tout aussi inintéressante – n’était que, contrairement à ce dernier, il y a ici de l’humour. L’histoire toute entière du film est doucement absurde. Voir les efforts que doit déployer le héros pour réaliser cette action toute simple qu’est la location d’un détecteur de métal – il devra finalement mentir – fait sourire. C’est un humour particulier, original, car à combustion si lente… qu’il peut passer inaperçu. On se rend souvent compte, après coup, que ce qu’on avait vu était drôle. Cette forme d’humour est théoriquement intéressante, mais peu divertissante. C’est là tout le problème du travail de Porumboiu : sa mise en scène vaut bien plus sur le plan théorique (c’est original) que sur le plan pratique (on s’ennuie beaucoup).

Ahurissant final
A de rares moments, cependant, le minimalisme comique produit un comique gigantesque, comme lorsqu’un détecteur de métal se met à sonner en permanence au cours d’un scan. Et il y a, surtout, cette fin, qui laisse le spectateur dans un état de sidération presque infini devant le mystère absurde de cette pirouette formelle finale. La caméra s’envole dans le ciel, puis se fixe sur le soleil, pendant que commence une reprise métal de « Live is life » complètement incongrue. Ce final sauve in extremis le film de l’ennui, pour l’abîme de perplexité comique qu’il ouvre et  duquel je ne suis toujours pas ressorti.

On retiendra…
Le final, un monument d’absurdité, qui vous poursuit bien après la projection.

On oubliera…
La mise en scène minimale est terriblement austère, et l’humour si lent, parfois imperceptible, ne suffit pas toujours à réveiller le spectateur.


« Le trésor » de Corneliu Porumboiu, avec Toma Cuzin, Adrian Purcărescu,…

lundi 15 février 2016

Tomber dans le nanar (Point break)

Peut-on juger un remake, sans connaitre l’original ? Je n’ai pas vu le « Point break » de Kathryn Bigelow datant de 1991, et ne pourrais donc pas le comparer avec son remake de 2015, réalisé par l’inconnu Ericson Core et écrit par Kurt Wimmer. Mais, au moment d’en faire la critique, cela a-t-il une quelconque importance, lorsque ce qu’il y a à juger est aussi faible ? Ce « Point break » est un très mauvais film… Pourtant, il échappe à la catégorie des films sitôt vus, sitôt oubliés. Ce qui le sauve du désintérêt, c’est qu’il est tellement nul… qu’il en devient génial.



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L’intention de départ ayant guidé la réalisation de ce remake semble avoir été le rassemblement dans un seul film des images les plus spectaculaires circulant dans les vidéos de sports dits « extrêmes » : surf, escalade, vols en chute libre, snowboard, motocross, apnée… Jusqu’au combat de rue, le film catalogue l’un après l’autre ces sports extrêmes, dans un systématisme qui ôte bien vite tout réalisme et donc tout frisson aux exploits présentés, mais qui atteint effectivement à un spectaculaire original. L’autre risque de cette entreprise de listage d’images sportives hors du commun était de conférer à ce film de cinéma des allures de clip YouTube… Ecueil que « Point break » cite dès ses premières répliques, mais pas tant pour s’en moquer que pour mieux s’y vautrer tout au long des deux heures de film qui suivent.
Les personnages n’ont aucune crédibilité, aucune profondeur, et sont en définitive moins des personnages de cinéma que de clips publicitaires. La mise en scène est à l’avenant : elle se distingue par son manque de lisibilité, son incapacité à représenter un espace voire des gestes de manière claire. C’est que les séquences, qu’elles soient ou non d’action, sont toutes montées comme des clips, faisant fi de toute cohérence pour lui préférer le spectaculaire de quelques plans impressionnants.

Confusion morale
Derrière tout ça, surnagent non pas un mais des discours, qui ne cessent de s’opposer et de se contredire. « Point break » valorise la prise de risques dans la pratique des sports extrêmes, puis la dénonce quelques séquences plus loin, promeut ensuite un comportement antisystème, avant de s’en horrifier… Le film est d’une grande confusion, moralement flou. On s’en aperçoit lorsqu’on se rend compte qu’on peut lui faire dire n’importe quoi. Ce flou des intentions était déjà présent dans le scénario qui aurait mérité de nombreuses réécritures, mais a encore été accentué par les facilités de la réalisation qui achèvent de brouiller les pistes. Dans ses représentations des différents sports extrêmes, le film accumule une telle brochette de clichés et de raccourcis qu’on pense d’abord avoir à faire à une mise en scène parodique, avant de se rendre compte que ce qu’on percevait comme du second degré était du premier.
C’est de ce décalage[1], ce sérieux confinant à son insu à la parodie, et de cette naïveté mélangée à une gravité de pacotille, que nait le comique du film. Vu avec le recul approprié, la nullité se transforme en génie. C’est la définition-même du plaisir que procure un nanar.

On retiendra…
Des scènes d’action originales, car basées sur des exploits sportifs rarement exploités par le cinéma d’action.

On oubliera…
Acteurs bidons pour personnages publicitaires, scénario brouillon, réalisation plus digne d’un clip, intentions floues, le tout enrobé d’un grand sérieux : en résumé, un nanar.

« Point break » d’Ericson Core, avec Luke Bracey, Edgar Ramirez,…



[1] Que l’on retrouvait déjà dans (au moins) un autre des films écrits par Kurt Wimmer : « Equlibrium » (2002, et dont il était aussi réalisateur). Une marque de fabrique ?