mardi 25 octobre 2016

Particulièrement réussi (Miss Peregrine et les enfants particuliers)

On n’osait plus y croire. Le grotesque « Alice au pays des merveilles », le calamiteux « Dark shadows », l’anodin « Frankenweenie », et le passable « Big eyes » semblaient autant de preuves du déclin du cinéma de Tim Burton, amorcé depuis son remake de « La planète des singes » en 2001. Le plaisir éprouvé devant « Miss Peregrine et les enfants particuliers » (on croirait le titre d’un film de Jean-Pierre Jeunet) est donc double : celui de voir un bon film, et celui de retrouver un cinéaste aimé que l’on croyait perdu.


L’inspiration retrouvée
« Miss Peregrine et les enfants particuliers » est l’adaptation d’un roman jeunesse éponyme de Ransom Riggs. Cette histoire semble pourtant tout droit sortie de l’imagination de Tim Burton, tant elle rassemble, quasi exhaustivement, les thèmes chers au cinéaste (l’enfance, l’inadaptation, le rêve…). A une nouveauté près : le jeu sur le temps, encore inédit dans son cinéma. Les enfants du titre sont forcés, pour survivre, de revivre éternellement la même journée de 1943, ce qu’ils appellent une « boucle ». Le film déploie à la suite ce concept de boucle tout un univers de « particularités », d’ « ombrunes » et de « sépulcreux » d’une richesse insoupçonnée et complètement burtonienne (au cœur de l’intrigue, une affaire d’yeux…).
Le réalisateur multiplie les fantaisies visuelles : visions frappantes et poétiques se succèdent sans s’essouffler – et dans une 3D très bien utilisée. On pourrait les énumérer, mais elles sont si nombreuses qu’on se contentera de les résumer en disant que c’est beau, drôle, et de plus en plus chargé de sens. Impossible cependant de ne pas citer le visage hallucinant de Samuel L. Jackson, qui tient ici un de ses meilleurs rôles de méchant (lui qui en joue tant). Il réussit à la fois à être des plus effrayants et hilarants.
Dans cette fête de l’inspiration retrouvée, Burton s’amuse à glisser des références un peu partout (et à se glisser lui-même dans le film via un caméo furtif, une première !), de « Jason et les argonautes » jusqu’à « Dumbo », son prochain film (on craint le pire). A ce jeu des citations, on notera la bizarre convergence des formes entre « Miss Peregrine… » et « Ma loute », le film de Burton reprenant sans le faire exprès quelques-unes des images fortes du film de Dumont (un personnage lévitant sur une plage du nord). Une simple coïncidence, mais amusante… surtout pour Dumont !

Systématique numérique
Pour autant, on retrouve aussi dans « Miss Peregrine et les enfants particuliers » quelques-uns des défauts de Burton : il ne s’attarde pas assez sur certains thèmes de son histoire – le traitement des boucles temporelles pouvait par exemple mériter beaucoup mieux. Malgré une séquence marrante et de mauvais goût réalisée en stop motion, le recours trop récurrent au numérique fait regretter la folle poésie des effets spéciaux employés par le cinéaste avant 2000…
S’il ne constitue pas le chef-d’œuvre du cinéaste, « Miss Peregrine et les enfants particuliers » est sans conteste l’un de ses meilleurs films, et redonne espoir pour la suite de sa filmographie.

On retiendra…
Burton est de retour et convoque ses thèmes fétiches dans une intrigue d’une grande richesse, pleines de visions poétiques.

On oubliera…
Le film n’exploite pas jusqu’au bout la richesse de son scénario. Le numérique est trop privilégié par rapport aux effets traditionnels tellement plus poétiques.


« Miss Peregrine et les enfants particuliers » de Tim Burton, avec Asa Butterfield, Eva Green,…

jeudi 6 octobre 2016

Juste magnifique (Juste la fin du monde)

Où s’arrêtera donc l’ascension de Xavier Dolan ? A chaque nouveau film, il fait mieux que le précédent. « Juste la fin du monde » est donc encore plus fort que le déjà extraordinaire « Mommy ». Le film n’est vraiment pas passé loin de la Palme d’or puisqu’il a décroché le Grand Prix du jury au 69ème festival de Cannes…
« Juste la fin du monde » est à l’origine une pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge que Dolan avait déjà adapté pour « Tom à la ferme » (2012). Preuve évidente de son nouveau statut de « super auteur », Xavier Dolan a fait l’exploit de réunir ce qui n’est pas loin d’être le casting le plus prestigieux que l’on puisse rassembler aujourd’hui pour tourner un film français avec cinq rôles : Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye.
On aurait pu craindre qu’en s’entourant d’acteurs si emblématiques du cinéma français, Dolan se coule dans un certain moule du « film d’auteur français ». Or, pas du tout : le québécois n’a rien cédé sur ses obsessions et sa manière si personnelle de concevoir un film.


La finesse des gros plans
Après une très belle et sombre introduction, le film plonge directement dans un huis-clos, où se révèlent immédiatement les choix très forts de mise en scène de Xavier Dolan.  Pour raconter cette famille dysfonctionnelle, Dolan utilise presque exclusivement des gros plans sur les visages de ces personnages. Cette mise en scène très originale (voire inédite ?) désarçonne au début : ne voir que des visages en gros plans de personnages au caractère si marqué et contrasté qu’ils semblent fous (et certains le sont) est très vite asphyxiant pour le spectateur. L’« hystérie » propre à Dolan (mais en nettement plus sombre qu’avant) provoque ici l’étouffement. Or c’est très exactement ce que ressent le personnage principal, Louis, lorsqu’il retrouve sa famille après douze ans d’absence. On retrouve ici le goût du cinéaste pour faire se rejoindre le signifiant et le signifié comme lorsqu’il ouvrait littéralement le cadre dans les fameuses séquences de libération dans « Mommy ».
Face à sa famille, Louis est presque mutique. Il laisse les flots de paroles s’échapper de la bouche et du cœur de chacun des membres de sa famille, qui ne l’ont pas vu depuis si longtemps. Il arrive à s’isoler avec chacun d’entre eux, l’un après l’autre. Le film est donc quasiment une succession de longs monologues. La mise en scène en gros plans rappelle que cette matière est très théâtrale et en même temps la transforme en du cinéma pur, grâce à ce que les plans dévoilent de chacun des gestes et expressions des acteurs, et en particulier en insistant sur leurs yeux, leur regard. Le visage de l’acteur prend toute la place dans le cadre et ne cohabite que rarement dans un plan plus large avec le corps d’un autre acteur : cette mise en scène qui enferme les personnages chacun dans leur cadre traduit aussi l’absence de communication dans cette famille qui se déchire et, pendant toute la durée du film, se dispute la présence de Louis. Qui reste donc là à les écouter et à les regarder.
Le regard : c’est ce sur quoi travaille cette mise en scène, puisque en réduisant le champ au seul visage de l’interlocuteur de Louis, la caméra nous fait entrer dans sa tête. Ces gros plans, c’est en fait ce que voit Louis quand il écoute quelqu’un, c’est son regard qui nous est montré, ce qu’il voit. La réalisation de Dolan nous fait donc plonger dans l’esprit du personnage de Louis, elle réussit en fait à nous faire vivre cette journée si particulière de son point de vue, littéralement. « Juste la fin du monde » ne raconte pas cette journée d’une manière réaliste, mais raconte le ressenti émotionnel de cette journée par Louis, sa représentation mentale de cette journée, qui est enrichie de souvenirs et de sensations. Xavier Dolan nous montre cette journée non pas d’un point de vue extérieur, omniscient, sans passé, mais d’un point de vue intériorisé, riche d’une mémoire, d’une histoire personnelle : celui de Louis, mais derrière lequel on devine aussi celui du réalisateur. Ce point de vue est donc extrêmement touchant.

Nouvelles facettes
Outre cet extraordinaire procédé de mise en scène, si puissant et si poignant, « Juste la fin du monde » a aussi le mérite de montrer de formidables performances de jeu. Dolan a réussi à révéler de nouvelles facettes de chacun des acteurs de son casting, inédites. Cotillard, Cassel, Baye, Seydoux, et en particulier Ulliel : ils apparaissent dans ce film comme nouveaux, malgré leur aura. On en vient rapidement à oublier que l’on voit Cotillard ou Cassel jouer, pour ne plus voir que Catherine et Antoine.
Le film se termine sur une métaphore d’une limpidité frappante, belle et émouvante, qui achève de nous convaincre que « Juste la fin du monde » est un film d’une grande force – peut-être bien juste le meilleur film de l’année.

On retiendra…
Une mise en scène tout en gros plans surprenante, puissante et émouvante. Des interprétations d’une grande force.

On oubliera…
On aurait aimé que le film dure un peu plus longtemps, il parait un peu court (preuve de sa grande qualité ?).

« Juste la fin du monde » de Xavier Dolan, avec Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Vincent Cassel et Nathalie Baye