jeudi 9 juin 2016

Artificiel (The neon demon)

Un déluge de paillettes et de diamants. C’est sur ces magnifiques images savamment composées tirant vers l’expérimental et le cinéma de Kubrick (la cascade de sang de « Shining », la fin hallucinée de « 2001 ») que débutent le nouveau long-métrage du danois Nicolas Winding Refn. Son titre très inspiré, « The neon demon », résume à lui-seul le sujet du film : le culte et le vice de la beauté. Naturelle ou artificielle, spontanée ou mise en scène, innocente ou calculée, mais irréductiblement éphémère, la beauté est donc à l’étude dans cette histoire racontant l’ascension d’une jeune modèle (Elle Fanning) dans le mannequinat à Los Angeles.


Plein la vue
C’est avec un plaisir manifeste que NWR (comme on l’appelle, et comme il signe désormais ses films) a mis en scène cette histoire d’apparence avec une réalisation tout en artifices. Refn fait étalage de son art dans la composition des plans et leur montage, pour produire des images fascinantes impactant la rétine et impressionnant l’esprit, en reprenant les techniques visuelles de Kubrick (« 2001 : l’odyssée de l’espace », la référence suprême de NWR qui transpire dans tous les plans). Et ça marche. Le film est une fête visuelle et une démonstration permanente de puissance. Pendant toute la projection, on ne fait que contempler les images et se dire « il est trop fort » ou « c’est génial ».
Ce qui peut en agacer certains, irrités d’être pris ainsi de haut par cet hypercontrôle de NWR. A vrai dire, le film a du mal à maintenir sur sa durée le même régime de fascination qu’au début, et la mise en scène finit par ne plus avoir d’autre justification qu’un pur esthétisme (c’est beau, mais ça ne raconte rien). Comme si tout à son contrôle, NWR s’était rigidifié dans un exercice de style immuable.
Or ce basculement n’est qu’une marque supplémentaire de la maîtrise de Refn puisque cette impression de gratuité de l’esthétisme, ce rejet qui opère dans l’esprit du spectateur pour les effets visuels, les artifices de la mise en scène est concomitant, dans l’intrigue du film, au moment où la vanité puis l’horreur qui se cachent derrière la beauté sont révélées. NWR a en fait poussé la logique jusqu’au bout : faire un film aussi beau, vain et sordide que son sujet. Il ménagera même à ce propos une surprise finale dont on ne s’est pas encore remis…

Auto-analyse
« Only God forgives » pouvait se lire comme une réponse aux critiques faites à « Drive » : NWR y amochait Ryan Gosling, le beau gosse mutique de « Drive ». Dans « The neon demon », NWR s’adresse directement à ses détracteurs. Son cinéma produit des images si puissantes qu’il lui a souvent été reproché de ne reposer que sur cette puissance visuelle. Or, « The neon  demon » semble avoir été précisément pensé et réalisé pour donner totalement raison à cette critique. Mais moins qu’une réponse ironique à ses contempteurs, il faut plutôt voir en « The neon demon » une analyse du cinéma de NWR par lui-même, où Refn étudie la vanité de sa réalisation. Un mouvement d’auto-réflexion que les grands réalisateurs contemporains de la puissance visuelle n’ont pas encore esquissé (Nolan, Villeneuve, Malick).
Réflexion sur la fascination exercée par le cinéma et l’art en général et sur la propre mise en scène du réalisateur, avec une logique jusqu’au-boutiste dans son esthétique admirable et audacieuse, « The neon demon » est un nouveau chef-d’œuvre dans la filmographie en constante progression de Nicolas Winding Refn.

On retiendra…
La puissance visuelle hors norme du film, qui impressionne de bout en bout. Les résonances multiples de l’œuvre avec son sujet et ses critiques, qui en font un film véritablement moderne. Le retour d’Elle Fanning.

On oubliera…
L’intensité du film décroit quelque peu au mitan de la projection, les effets de style ne se renouvelant pas.


« The neon demon » de Nicolas Winding Refn, avec Elle Fanning, Jena Malone,…

2 commentaires:

  1. Et bien, tes tweets et ta critique m'ont fait allé voir cet étrange film. Sans regret! A l'inverse de toi je ne sais pas vraiment expliqué ce qui m'a plu, peut être le fait d'être témoin de l’ironie entre beauté et cruauté... Et oui j'ai mis du temps à passer à table après la dernière scène !!

    Merci pour tes critiques !!

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    1. Ah ah ! Tant mieux si je t'ai amené à voir le film, ça justifie la rédaction de cet article : rien que pour ça je ne l'aurais pas écrit pour rien ! Merci de me suivre !

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