lundi 20 avril 2015

La couleur du mythe (Jauja)

« Les Anciens disaient que Jauja était, dans la mythologie, une terre d’abondance et de bonheur. Beaucoup d’expéditions ont cherché ce lieu pour en avoir la preuve. Avec le temps, la légende s’est amplifiée d’une manière disproportionnée. Sans doute les gens exagéraient-ils, comme d’habitude. La seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que tous ceux qui ont essayé de trouver ce paradis terrestre se sont perdus en chemin… » : c’est par ce carton que s’ouvre le mystérieux « Jauja », sélectionné à Un Certain Regard l’année dernière à Cannes  – outre sa sélection au festival, la présence de Viggo Mortensen en tête d’affiche devrait assurer une visibilité inédite à ce cinquième film de l’argentin Lisandro Alonso. C’est aussi par ce carton que cette critique commence, car je me suis rendu compte rétrospectivement qu’il ne résume que trop bien non pas l’histoire du film mais l’expérience de sa projection. Le texte évoque le mythe et l’errance, la perdition.



L’onirisme… et le sommeil
Or il y a un côté mythologique dans « Jauja », c’est même ce qui frappe en premier le spectateur à la fin du carton : visuellement, le film semble issu d’un autre temps. Signée Timo Salminen, la photographie cite les débuts du cinéma, notamment par le format de l’image 1:33, presque carré et aux bords arrondis, qui est celui du temps du muet, mais s’en détache au niveau des couleurs, très vives et très nettes : le film a une beauté picturale éblouissante et fascinante. La photographie renvoie donc le film dans un ailleurs situé au-delà du passé : dans l’espace du mythe, ou du rêve.
On retrouve aussi – et c’est plus problématique – dans l’expérience de la projection du film la perdition dont traitait le carton d’introduction. Lisandro Alonso déroute en ne montrant jamais au spectateur ce qu’il attendait. Le film avance ainsi sans qu’on ne puisse jamais le prévoir, alors même qu’il suit pourtant une ligne très claire et très simple, une intrigue de western classique : un capitaine part à la recherche de sa fille, enfuie en territoire ennemi. Avec la photographie, ce mélange indécis de connu et d’inconnu, faussement familier, trompeusement conventionnel, achève de déplacer « Jauja » hors du temps, vers un territoire onirique… où malheureusement il est très facile de s’endormir. La lenteur et l’aridité de l’action, le statisme de la mise en scène, si elles servent à installer cet onirisme où le temps paraît figé, rendent aussi le film particulièrement austère. Le voyage est beau, mais lent…

Le mystère final
La dernière partie réveillera les spectateurs assoupis (ce qui n’est pas sans ironie – il est d’ailleurs remarquable de constater que la cohérence du film, toujours en phase avec l’état émotionnel du spectateur). C’est une pirouette scénaristique dont on ne peut rien dire, mais qui fait définitivement basculer le film du côté de l’étrange car elle détruit tous les repères. En sortant de la projection, la seule chose que l’on sait avec certitude, c’est que comme tous ceux qui ont essayé de trouver la clé de « Jauja », on s’est perdu en chemin…

On retiendra…
Une photographie magnifique qui donne au film l’allure d’un mythe. Le basculement de la dernière partie.

On oubliera…
Formellement très beau, mais trop austère : le film est assez soporifique.


« Jauja » de Lisandro Alonso, avec Viggo Mortensen, Viilbjørk Malling Agger,…