lundi 29 décembre 2014

Propheteus (Exodus : Gods and Kings)

Signe des temps ou retour cyclique des mêmes histoires, le péplum biblique fait un envahissant retour en grâce à Hollywood. En 2014, après l’écolo « Noé » de Darren Aronofsky, Ridley Scott livre sa version du mythe de Moïse dans un film pompeusement intitulé « Exodus : Gods and Kings ». Voir Aronofsky s’essayer au blockbuster biblique avait quelque chose d’extraordinaire, voir Ridley Scott faire de même quelque mois plus tard ne l’est pas du tout, tant le réalisateur a prouvé son goût pour l’éclectisme et sa capacité à rebondir de film en film d’un genre cinématographique à un autre (avant ce péplum, la SF de « Prometheus » et le thriller « Cartel ») selon une logique qui ne dit obéir qu’à sa seule liberté.


Viser à la monumentalité
         Après « Gladiator » (2000), « Kingdom of heaven » (2005), et même « Robin des bois » (2010), qu’est-ce qui pouvait bien intéresser Ridley Scott dans la réalisation de ce nouveau péplum ? Une raison est évidente : le mythe de Moïse est un formidable matériau pour la création de visions édifiantes et stupéfiantes. Les grands tableaux du mythe que sont les dix plaies d’Egypte et la traversée de la mer Rouge sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif, comme le prouve la dizaine d’adaptation du mythe au cinéma (la version emblématique étant « Les Dix commandements » de Cecil B. DeMille, de 1956). Armés des moyens numériques modernes, Ridley Scott ose sans scrupule le monumental. Tout est énorme dans « Exodus » : les bâtiments, les villes, les chantiers, la population d’esclaves, le nombre de guerriers… Le réalisateur, protégé par la qualité mythique de son histoire, n’a pas peur de la surenchère. Beaucoup de ces visions sont effectivement très spectaculaires. Il y a d’ailleurs quelque chose d’admirable dans ce blockbuster, qui cherche à divertir par la seule force de ces tableaux, et non pas par l’accumulation de scènes d’action (une seule bataille dans le film, en introduction, c’est presque une incongruité pour ce type de spectacle). Mais pas sûr que celles-ci soient aussi puissantes qu’espérées. Le problème du numérique est que, s’il permet de multiplier par dix, cent ou mille le nombre de figurants dans un plan large, l’effet de cette multiplication sur l’émotion sera à peu près nul. Parce qu’il connait « le truc », le spectateur est bien moins impressionné par les foules numériques de Ridley Scott que par les foules de figurants de Cecil B. DeMille… Là où « Exodus » s’avère réellement impressionnant, c’est donc lorsqu’il mêle à cette foule le spectacle colossal de la furie des éléments (des nuées d’insectes déferlant sur les marchés et les temples égyptiens aux rouleaux géants de la Mer Rouge se refermant). L’utilisation de la 3D rajoute encore au spectaculaire, puisqu’elle crée de saisissants jeux d’échelle.

Classique
        Il n’y a malheureusement pas grand-chose à retenir d’autre du film que ces plans spectaculaires. L’écueil majeur de l’adaptation d’un mythe connu de tous est qu’il est justement connu de tous. Ridley Scott n’a aucunement essayé d’y injecter du neuf. Contrairement à Darren Aronofsky qui faisait clairement de Noé un héros de l’écologie, Scott n’essaye pas de relier Moïse à notre présent. Le classicisme prime, l’histoire se déroule donc telle que le spectateur l’attend. Et ce n’est pas le compositeur Alberto Iglesias qui essaiera d’aérer le film, puisqu’il accompagne ses images avec une bande originale des plus pompières, constituant un vrai cliché de la musique de péplum. Seul objet d’intérêt  de la mise en scène de cette histoire : la représentation de Dieu, dont Ridley Scott se tire grâce à un enfant dictant ses volontés comme des caprices – ce qui n’est pas une mauvaise idée pour expliquer les invraisemblances du mythe.
        Le film se suit donc avec intérêt mais sans passion. Jusqu’au générique de fin, où le réalisateur dédie son film à son frère Tony Scott, qui reconfigure complètement l’appréciation que l’on pouvait avoir de cette histoire de deux frères qui se font la guerre car portés par des idéaux différents… Derrière le spectacle hollywoodien, y aurait-il un sens caché à « Exodus » ? Toutes les interprétations sont ouvertes, et d’un seul coup le film respire.

On retiendra…
Un blockbuster entièrement porté par ses visions monumentales.

On oubliera…
L’absence de regard neuf sur le mythe, la musique pompière.


« Exodus : Gods and Kings » de Ridley Scott, avec Christian Bale, Joel Edgerton,…

vendredi 26 décembre 2014

Tenir la longueur (L'aube de la nuit)

C’est le plus long roman de science-fiction écrit à ce jour : plus de 5000 pages, réparties sur sept volumes dans son édition poche en France. « L’aube de la nuit » (1996-1999) de Peter F. Hamilton est bien un seul roman et non pas un cycle car du premier au dernier volume, il n’y a aucune ellipse dans la narration – le découpage des volumes étant d’ailleurs plus ou moins arbitraire (par exemple, l’édition grand format d’Ailleurs et Demain est divisée en six volumes au lieu de sept).


Mélange des genres
Outre sa dimension hors norme, ce space opera se distingue par le curieux mélange des genres qu’il propose. Forcément, sur cette longueur, Peter F. Hamilton a pu convoquer puis brasser tous les thèmes et les attributs du space opera : colonisation de nouvelles planètes, exploration d’univers inconnus, contact avec des entités extra-terrestres, découverte d’artefacts quasi divins, archéologie des ruines de civilisations galactiques oubliées… dans un futur où l’humanité s’est séparée en deux branches, celle acceptant les améliorations génétiques (les édénistes) et celle qui se contente d’augmenter ses organes par la technologie (les adamistes). L’originalité de cette histoire viendra d’une « rupture dans le réel » par laquelle s’engouffreront les âmes des morts. Celles-ci  s’emparent des corps humains à proximité, poussées par l’irrépressible désir de fuir les tourments atroces que subissent les âmes dans l’au-delà. Dotés de pouvoirs extraordinaires (en tirant de l’énergie de la brèche dans la réalité, ils peuvent modifier la réalité), ces morts revenus à la vie sont prêts à tout pour empêcher les vivants de leur faire abandonner les corps dont ils ont pris possession.
L’humanité, dispersée sur plusieurs systèmes solaires mais unie sous l’hégémonie de la Confédération, se retrouve confrontée à un problème métaphysique ou spirituel : accepter l’existence d’un au-delà, décrit comme un lieu de souffrances ultimes, et affronter le retour des morts. Ce problème, sur lequel est bâtie toute l’intrigue du roman, est en fait essentiellement traité par son versant matériel, qu’on pourrait résumer par une invasion zombie interstellaire.
C’est toujours avec une certaine crainte qu’on s’engage dans une lecture aussi longue (que j’ai étalé sur deux ans). Rien que de très enthousiasmant pourtant au départ, lorsqu’on découvre ce vaste univers dont on ne voit pas les limites et le goût de Peter F. Hamilton pour un space opera empreint de classicisme (dans le bon sens du terme). L’auteur réactive à bon escient l’héritage de l’âge d’or de la science-fiction (le parfum d’aventure) avec les caractéristiques du space opera moderne. Malgré la longueur de son œuvre, Hamilton ne multiplie pas exagérément le nombre de personnages principaux. L’intrigue est construite de telle manière qu’elle ne s’appuie sur les avancées parallèles de trois ou quatre personnages seulement. Au fil des volumes, l’auteur fait se rejoindre, se disjoindre, termine ou amorce de nouveaux fils à son intrigue, mais sans jamais éclater son histoire en une multitude de micro-récits. Il n’y a par contre aucun raccourci : Hamilton barre la route de ses personnages de nombreuses péripéties, qui permettent de maintenir constante l’attention du lecteur en ajoutant énormément d’enjeux « locaux » propres à relancer le désir de lecture – désir que l’intrigue en toile de fond, qui ne se laisse que peu à peu deviner, ne pourrait maintenir sur autant de pages.


Ampleur inutile
« L’aube de la nuit » est donc impressionnant pour son ampleur et son adresse à ne jamais vouloir désintéresser ou décourager son lecteur, son foisonnement qui ne vire jamais au fouillis. Mais 5000 pages, c’est long. Vient forcément un moment où des niveaux apparaissent. Lorsque des creux se font sentir dans l’intrigue, sur cette longueur, ça dure des centaines de pages ! La deuxième partie du roman, « L’alchimiste du neutronium », m’a ainsi paru nettement moins passionnante que la première (« Rupture dans le réel »). Arrivé à la dernière (« Le dieu nu »), l’intérêt remonte. Mais commence à poindre l’attente d’un final qu’on espère forcément démesuré, à la hauteur des milliers de pages qui ont précédé.
La déception est donc immense lorsque l’auteur recourt littéralement à un deux ex machina pour résoudre son écheveau d’intrigues en une centaine de pages… Le problème du deus ex machina est qu’il n’est pas justifié par une construction de l’intrigue : on a le sentiment qu’il aurait pu intervenir beaucoup plus tôt. Beaucoup des péripéties imaginées par Hamilton ne servaient donc qu’à alimenter le flot du récit, sans lui ajouter du sens, ni lui apporter d’épaisseur.
Apparait ici l’échec de « L’aube de la nuit » : une grande partie du roman ne fait pas avancer  son intrigue. Son final ne justifie pas sa longueur. Or, l’écriture sans style de Peter F. Hamilton devient vite très fatigante. Le moteur de la lecture n’est donc jamais la plume de l’auteur, mais l’histoire qu’il raconte. Or, une fois qu’on se rend compte qu’une bonne part de cette histoire n’a pas de nécessité narrative, elle devient donc complètement superflue, et ses rebondissements, bêtement artificiels.
5000 pages plus loin, la conclusion est dure : « L’aube de la nuit » est malheureusement une œuvre boursouflée, qui aurait méritée d’être coupée de beaucoup de ses passages les plus maladroits, mal écrits, gratuits ou tout simplement mauvais. Les milliers de pages du roman excèdent de beaucoup trop l’intrigue imaginée par Hamilton, qui voit son sens occulté par l’accessoire et l’agrément.
« L’aube de la nuit » n’est pas du tout le monument que sa longueur faisait espérer. Plutôt une grande aventure, souvent très divertissante, parfois agaçante tant c’est mal écrit, mais – hormis sa longueur qui font de ces volumes de véritables trophées littéraires à ranger sa bibliothèque – complètement anodine.

« L’aube de la nuit » de Peter F. Hamilton, paru dans la collection Ailleurs et Demain des éditions Robert Laffont, repris en poche par Pocket SF

mercredi 24 décembre 2014

Se battre pour battre (Whiplash)

Sundance (Grand Prix du Jury, Prix du Public), Cannes (sélection à la Quinzaine des réalisateurs), Deauville (Grand Prix, Prix du Public) : avant de sortir sur nos écrans, « Whiplash » a fait le tour des festivals et n’est jamais, c’est le cas de le dire, passé inaperçu. Il est en effet impossible de rester indifférent face à ce premier film, que l’on doit à l’américain Damien Chazelle. L’histoire de ce batteur intégrant un conservatoire très compétitif, qui va accepter les méthodes parfois proches de la torture de son directeur pour accomplir son ambition d’artiste serait en partie autobiographique.


L’intensité de la musique
          Dans « Whiplash », on voit surtout un orchestre apprendre à jouer ensemble et un batteur réviser ses partitions… sauf que le film est aussi intense que les meilleures œuvres du cinéma d’action. Une formule explique très bien la fascination qu’exerce le film dès sa scène d’introduction : « Whiplash », c’est « Full Metal Jacket » au conservatoire. « Whiplash » raconte une tyrannie : celle qu’exerce le terrifiant maître d’orchestre Terence Fletcher sur l’orchestre qui porte son nom. Terence Fletcher est joué par J. K. Simmons, acteur américain déjà aperçu chez Jason Reitman. Il explose ici dans ce rôle d’enseignant cauchemardesque prêt à toutes les avanies pour tirer le meilleur de ses élèves. Corps sec tendu à l’extrême, perpétuellement sur le point d’exploser, Simmons est ici un monstre de colère rentrée, qui ne semble se détendre qu’au moment où il écoute une belle musique…
« Whiplash », comme la première partie de « Full Metal Jacket », raconte aussi la  déshumanisation consécutive à cette tyrannie : le héros du film, Andrew Neyman, se coupe peu à peu de toute attache sociale, de tout contact avec la réalité, pour entretenir un rapport obsessionnel avec sa musique et s’approcher du génie dont il rêve.
Assister à un concert la peur au ventre, frissonner de terreur au moment d’un solo de batterie… Après « Whiplash », vous ne verrez plus un concert avec le même œil. La sueur dégouline le long des instruments, rebondit sur les cymbales ; les mains s’abîment jusqu’au sang sur les baguettes qu’elles tiennent ; le visage crispé, le musicien souffre le martyre pour soutenir le tempo… Cette vision très originale (inédite ?) de l’exercice de la musique, montré comme une torture, aussi bien physique que morale, c’est à la fois l’intérêt et la limite de ce long-métrage.

Moralité rédhibitoire
La beauté a un prix, nul génie ne nait du confort, la douleur est le catalyseur du talent : ces préceptes moralement abjects sont ceux auxquels croit l’inflexible Terence Fletcher. En montrant l’application de ces principes, Damien Chazelle livre un film hautement captivant, d’une extrême intensité, qui cristallise en permanence l’attention de ses spectateurs, jusqu’à ce solo de batterie final, une véritable scène d’action d’une tension inouïe. Cependant, ce suspense éprouvant, quasi douloureux, qui amène une forte empathie du spectateur avec l’apprenti batteur, est-il moralement acceptable ? « Whiplash » n’est au final qu’une série d’humiliations. Le procédé est facile pour donner de l’intensité. Pour montrer l’obsession de son personnage principal, le film virera même dans le grotesque (l’accident de voiture)…
Mais ce qui choque le plus, et diminue considérablement l’intelligence de ce long-métrage, c’est ce final où le réalisateur donne finalement raison à Terence Fletcher (alors que le doute subsistait encore auparavant). Est-ce cela la vision de l’art défendue par Chazelle ? Faire souffrir ces spectateurs pour leur faire voir la beauté de son film ? Cette position irrecevable relativise complètement le brio de ce metteur en scène, qui pour impressionnant qu’il soit, n’en est qu’à son premier film… Ainsi, sur le même sujet, « Whiplash » est bien moins subtil et malin que le chef-d’œuvre de Darren Aronofsky, « Black swan ».

On retiendra…
Des concerts filmés comme des scènes d’action, intenses et éprouvantes : une vision inédite de la musique.

On oubliera…
Moralement inacceptable.

« Whiplash » de Damien Chazelle, avec Miles Teller, J. K. Simmons,…

Héroïque fantasy (Le Hobbit, la bataille des cinq armées)

Après la fin extrêmement abrupte de « La désolation de Smaug », l’ouverture in media res de ce dernier volet rappelle cruellement au spectateur que « Le Hobbit » n’était pas l’adaptation d’une trilogie littéraire, mais celle d’un unique (et peu volumineux) roman, étalée artificiellement sur trois films. Maintenant que les trois volets ont été vus, leur découpage apparait de ce fait comme totalement arbitraire. On a le sentiment que le combat final (très impressionnant) avec le dragon Smaug a été déplacé en séquence d’introduction de « La bataille des cinq armées » pour équilibrer sa durée par rapport aux deux films précédents – et même ainsi, il s’agit du plus court des trois. Il est donc inutile de juger ce qui est présenté comme « l’ultime voyage en Terre du Milieu » indépendamment des autres. Tout ce qui a été dit à propos des deux volets précédents s’applique bien évidemment à « Le Hobbit : la bataille des cinq armées » : on se référera donc au besoin à la critique d’ « Un voyage inattendu » et à celle de « La désolation de Smaug ».


Place au spectacle de la guerre
     La bataille du titre constitue l’essentiel de l’action de ce dernier chapitre cinématographique. En tant que conclusion, voire « climax » de la trilogie, les différents fils de l’intrigue sont rassemblés pour être achevés. S’ensuit une unité de lieu, de temps et d’action, qui introduit une petite rupture avec les long-métrages précédents. En restant dans des lieux pour la plupart déjà connus, le film perd sa part de charme qui tenait au voyage. Sans agrandissement du cadre de l’intrigue, le vertige de l’infini fictionnel représenté par l’exploration de la Terre du Milieu – dans lequel aimait à se perdre les scénarios peu pressés des volets précédents – n’a plus cours ici. Le voyage est vraiment terminé… pour être remplacé par la guerre.
          Forcément, c’est spectaculaire. Les batailles rangées sont pleines de souffle et réservent de grands moments épiques. Les duels finaux dans le décor glacé d’une forteresse abandonnée sont trépidants et pleins d’idées. A l’image des acrobaties de l’elfe Legolas, ébouriffantes. Le spectacle est magnifié par la 3D HFR, qui apporte un confort de projection et une lisibilité sans pareils. On suit donc avec un réel plaisir ces scènes d’action et ces scènes de bravoure, d’autant plus que ce final guerrier était attendu puisque annoncé dès le premier volet, il y a deux ans. Jackson est indéniablement doué pour porter à l’écran ces immenses scènes de combat. Il réussit à faire tenir cette grande bataille sur une heure de film !
Le film séduit aussi pour ces scènes de pure comédie, presque toutes dues au très drôle personnage d’Alfrid (Ryan Gage) : en le chargeant de la majeure partie du comique de ce dernier volet, la balance entre épique et comédie atteint enfin un bon équilibre (ce qui n’était pas toujours le cas précédemment).

Efficace… mais comme d’habitude
Si le réalisateur du « Seigneur des anneaux » est toujours aussi fort dans ce registre épique, il est à regretter que sa mise en scène n’ait pas évolué entre les deux trilogies adaptées de Tolkien. « Savoir-faire » est peut-être le mot qui décrit le mieux la réalisation de Peter Jackson sur cette trilogie du « Hobbit ». Celle-ci est en effet presque identique, jusque dans ses effets, à celle du « Seigneur des anneaux », mis à part une exception de taille : la 3D HFR, dont on se demande pourquoi, en trois ans, aucun autre réalisateur ne l’a adopté tant son intérêt saute littéralement aux yeux. Si on constate l’efficacité des procédés, si on comprend qu’ils sont repris tels quels dans les deux trilogies pour renforcer les liens entre celles-ci, on peut être déçu de les connaitre déjà. Comme si le réalisateur avait déjà développé tous ses effets de mise en scène dans « Le seigneur des anneaux », et se limitait à les réutiliser pour « Le Hobbit ». Etonnant de voir ainsi Jackson traiter la folie cupide de Thorin comme celle de Gollum… ce qui fait penser à un épuisement d’inspiration pour représenter l’avarice au cinéma !
Autre faiblesse : le temps d’une scène, le piège du raccord à tout prix entre « Le Hobbit » et « Le seigneur des anneaux » fait même basculer le film dans la série Z, au moment de la libération de Gandalf des griffes de Sauron. Cette scène sert à faire le lien entre « Le Seigneur des anneaux » et la présente trilogie du « Hobbit ». Mais Peter Jackson s’y montre extrêmement lourd : à l’accumulation gratuite de caméos qui rend déjà la scène complètement artificielle, s’ajoute une surcharge d’effets visuels faisant basculer ces quelques minutes en une sorte de parodie de la mise en scène du réalisateur.

Un comique involontaire
Impossible de ne pas évoquer un échec de la trilogie « Le Hobbit » : l’introduction dans l’intrigue par les scénaristes des films d’un personnage féminin (l’elfe Tauriel), absent du roman. Féminiser l’histoire du « Hobbit » n’était peut-être pas une mauvaise idée – la trilogie aurait sûrement été attaquée si elle n’avait pas développé en 8 heures de film un personnage féminin. Mais cela n’excuse en rien le ridicule de l’histoire d’amour dont les péripéties s’étalent sur les deux derniers volets. Ridicule dont Peter Jackson semble être conscient, puisqu’il la traitait à certains moments sous l’angle de la comédie dans « La désolation de Smaug », instillant un doute dans l’esprit du spectateur… qui sera levé à la toute fin de « La bataille des cinq armées » par une réplique du roi des elfes Thranduil. A ce moment, comme pour « La désolation de Smaug », on ne peut que constater l’immense abîme qui sépare James Cameron de Peter Jackson…

Faire vivre le souvenir
Au final, force est de constater que la trilogie du « Hobbit » n’a pas du tout la même force que celle du « Seigneur des anneaux », même en prenant en compte la teneur plus comique de l’histoire du « Hobbit ». Mais le souvenir du « Seigneur des anneaux » est si fort, l’attachement à la Terre du Milieu si grand, que pour le simple plaisir de revenir dans cet univers au cinéma on pardonne très vite à Peter Jackson d’avoir moins bien réussi cette trilogie du « Hobbit »... qui se conclut par un (énorme) pincement au cœur à la pensée qu’il n’y aura peut-être plus d’autres films pour réactiver ce souvenir et le faire perdurer.

On retiendra…
Pour ses longues batailles et ses combats épiques, ce dernier volet est le plus spectaculaire de la trilogie « Le Hobbit »…

On oubliera…
… qui restera en-dessous du « Seigneur des anneaux », à cause d’un recyclage trop évident de la mise en scène développée pour la première trilogie adaptée de Tolkien.


« Le Hobbit : la bataille des cinq armées » de Peter Jackson, avec Martin Freeman, Richard Armitage, Luke Evans,…

lundi 1 décembre 2014

Tourner pour Turner (Mr Turner)

Le biopic de peintre est à lui tout seul un genre cinématographique. Les cinéastes ne se lassent pas de montrer leurs illustres collègues du 3ème art en pleine création. Le cinéma est en effet un excellent médium pour plonger dans la subjectivité d’un peintre, car il permet par les prouesses des chefs opérateurs de le représenter dans le monde tel que le peintre le voyait (selon le regard qu’a transmis son œuvre picturale). Au-delà de ce que peut raconter la vie-même du peintre, le biopic de peintre est d’abord le rêve de tout admirateur : sur une autre toile (celle du cinéma), ressusciter une œuvre.


La lumière faite monde
On ne s’attendait pas à voir Mike Leigh, l’un des plus grands portraitistes de la Grande Bretagne contemporaine, s’attaquer à ce genre en portant à l’écran la vie de William Turner, précurseur de l’impressionnisme. « Mr Turner » au cinéma s’impose pourtant bien vite comme une évidence.
Filmé par Dick Pope, la vie de Turner s’avère une formidable occasion pour animer les tableaux du maître, renouer avec cette lumière extraordinaire, très chaude, décrite par le peintre comme le fondement du monde : si cette lumière de Pope est émouvante, c’est aussi parce que le film, en tant que projection, est effectivement un monde animé par la lumière. Joué par Timothy Spall, la vie de Turner s’avère une formidable occasion pour l’acteur de livrer une composition incroyable de borborygmes, raclements de gorge, éructations et gestes bourrus bourrés de tics. Raconté par Mike Leigh, la vie de Turner s’avère constituer une œuvre très significative sur les vicissitudes de la vie d’un artiste : trop excentrique pour ses pairs, le génie de Turner n’était pas reconnu et il était vu et considéré comme un grossier personnage à moitié fou.

L’empathie
Or, c’est effectivement ce à quoi ressemble Turner dans le film. C’est un père fuyant ses responsabilités, un mari infidèle, odieux avec ses proches et ses employés, un véritable ours, certes capable de peindre, mais d’une manière tout sauf élégante (Timothy Spall n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il joue Turner peignant à grand renfort de crachats). Ce personnage hautement antipathique conquiert cependant peu à peu la sympathie puis l’admiration du spectateur, grâce à la mise en scène d’une grande finesse de Mike Leigh. Le cinéaste anglais est un maitre de la distance : ses images paraissent des plus neutres, comme s’il ne portait aucun regard, aucun jugement, sur ce qu’il nous montre. Sauf que ce n’est en fin de compte absolument pas le cas, comme le spectateur s’en rend compte en prenant de plus en plus le parti de Turner. Leigh a ce brio de toujours sembler s’effacer, de ne rien asséner, de laisser une totale liberté morale au spectateur… pour finalement mieux l’amener dans la direction qu’il souhaitait. Une mise en scène admirable car en ne forçant rien, elle fait adhérer le spectateur par lui-même au regard que le cinéaste portait sur les situations qu’il lui montre. L’on devine présent le regard du cinéaste qu’a posteriori – puisqu’on pense d’abord que c’est le nôtre. Cette mise en scène repose sur l’intelligence du spectateur, et un principe fondamental : l’empathie pour les personnages. Tout est magnifique dans le film, la photographie, l’interprétation, les décors, les costumes, les cadrages, mais c’est ça qui fait de « Mr. Turner » un chef-d’œuvre.


On retiendra…
La composition Timothy Spall, la lumière de Dick Poppe, et surtout la mise en scène empathique de Mike Leigh.

On oubliera…
A quand un film de peintre qui ne soit pas une splendeur picturale ? Ça n’aurait évidemment pas de sens, mais ce serait une révolution…

« Mr. Turner » de Mike Leigh, avec Timothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey,…

The nanar(tist) (The search)

Il revient. Michel Hazanavicius, le réalisateur des comédies parmi les plus drôles, les plus intelligentes et les plus cinéphiles qui soient (les deux « OSS 117 » mais aussi « La classe américaine »), après avoir célébré le cinéma dans le vibrant hommage au muet qu’est « The artist » (2011) et après avoir été lui-même célébré par une pluie de récompenses (dont l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur), Michel Hazanavicius revient au cinéma avec « The search ».
           « The search » n’a rien d’une comédie. Il s’agit d’un lointain remake d’un film de 1948 (« Les anges marqués », Fred Zinnemann) dont l’intrigue a été contemporanéisé à la seconde guerre de Tchétchénie. C’est un film sur la guerre, représentée dans toute son horreur, de la fabrique de bourreaux aux destructions civiles.


Surligner…
                On aurait pu ici saluer le courage de Michel Hazanavicius. C’est un réalisateur qui ose un brusque changement de registre, qui pense à se renouveler, même abruptement, qui ne s’installe pas dans un territoire cinématographique pour éviter d’y être enfermé – un réalisateur libre et sincère. On aurait pu le faire si on n’avait pas vu « The search ». De ces intentions, après la projection, il ne reste plus rien, si ce n’est un engagement d’une force que l’on ne soupçonnait pas chez Hazanavicius. « The search » est un ratage cinématographique dont l’ampleur est encore accentuée par les récompenses récoltées par le réalisateur avec son précédent film et la sélection du film en compétition à Cannes.
                Malheureusement, tout va très vite et il ne faut pas chercher bien longtemps avant de se rendre compte que « The search » est mauvais. Hazanavicius prend par la main le spectateur et lui délivre un discours parfois si simple qu’il en devient bête. Il n’y a pas de doute, Hazanavicius est révolté par ce qu’il raconte. On comprend qu’il veut être certain que son cri d’effroi soit entendu. Mais ses efforts pour être compris, ce souci de de bien faire, sont si évidents, qu’ils bêtifient le film. En passant de la comédie au drame, Hazanavicius semble avoir oublié toute son intelligence.

… est irritant
Ainsi, l’enfant (Abdul Khalim Mamatsuiev), censé nous attendrir, s’avère prodigieusement agaçant tant son silence est exploité sans subtilité par la mise en scène pour délivrer encore et encore des messages déjà compris. A ses côtés Bérénice Béjo n’est jamais crédible dans son rôle. Elle joue si faux qu’elle n’a peut-être jamais été aussi mauvaise. Cette absence de justesse rend la plupart de ses scènes de grands moments de gêne. On se surprend même à baisser les yeux de l’écran lorsqu’elle apparait, dans une tentative désespérée de diminuer la portée du désastre en cours de projection.
Mais rien n’arrête Hazanavicius, qui, pendant 2h15, surligne tout, sans autre subtilité que son montage en forme de serpent qui se mord la queue – que l’on devine très vite. Les mauvaises idées de mise en scène sont permanentes, la plus spectaculaire d’entre elle étant le moment où l’enfant est surpris en train de danser. Cette scène invraisemblable, on comprend qu’elle est pensée comme un sommet d’émotion, et sa longueur conçue pour nous tirer toutes les larmes de notre corps, mais ces intentions sont si évidentes, paraissent si calculées, que la scène ne provoque rien sinon de l’irritation devant un tel gâchis.
          La seule chose que l’on pourrait sauver de « The search » est l’implacable évolution du jeune russe (Maxim Emelianov), qui, pour échapper à la prison, intègre l’armée. Rien de nouveau cinématographiquement, mais cette horreur-là glace trop pour que l’évidence des intentions diminue la portée de celles-ci. Cependant, ce cinéma de l’humiliation est aussi le plus facile pour faire réagir ses spectateurs…
        Ça ne suffit donc pas à rattraper ce film, si catastrophique qu’il restera comme une aberration, un anachronisme, un accident dans la carrière de Michel Hazanavicius.

On retiendra…
Le portrait du soldat russe montrant la fabrique des bourreaux, s’il n’est pas original et peut paraître facile, contient des scènes très fortes.

On oubliera…
A peu près tout : « The search » est un désastre.


« The search » de Michel Hazanavicius, avec Abdul Khalim Mamatsuiev, Bérénice Bejo, Maxim Emelianov,…