samedi 20 septembre 2014

YSL – souvenirs d’une maison de couture (Saint Laurent)

Ecrire sur la figure d’YSL au cinéma requiert désormais une attention soutenue : il faut veiller à ne pas perdre le lecteur entre Yves Saint Laurent (le couturier), « Yves Saint Laurent » (le film de Jalil Lespert, sorti en janvier de cette année), et « Saint Laurent » (le film de Bertrand Bonello, sorti en septembre). Après le doublon des adaptations de « La guerre des boutons » en 2011, 2014 voit de nouveau s’affronter dans les salles deux films français au sujet identique…
En sortant après le film de Lespert, il était à craindre que la projection du film de « Saint Laurent » ne s’apparente pour le spectateur à un long exercice de comparaison… Le réalisateur de « L’apollonide » (2011) allait-il réussir à imposer son film comme une œuvre unique ?


Fascinant mystère
La question devient futile dès la première minute de « Saint Laurent ». Il n’en faut en effet pas plus à Bonello pour atomiser l’œuvre de Lespert, et la reléguer au rang de téléfilm. « Saint Laurent » boxe dans une tout autre catégorie.
Curieux constat : le doublon cinématographique a eu du bon. Comme il le déclare lui-même, savoir que son film sortirait quelques mois après « Yves Saint Laurent » a complétement libéré Bertrand Bonello de toutes les contraintes inhérentes au genre. « Saint Laurent » n’est pas un biopic didactique, académique et emphatique, mais un portrait fascinant, mystérieux, irrésolu.
L’excellente idée de Bertrand Bonello est de ne pas chercher à expliquer le génie du couturier. Son film ne retrace que dix ans de sa vie (1967-1976) et ne fera aucunement référence à ses origines ou à son ascension. A tel point que la vision du film de Jalil Lespert peut s’avérer utile pour tout spectateur ne connaissant pas la trajectoire de ce géant de la mode – ou plutôt, aussi utile que la lecture d’une présentation wikipédia. « Saint Laurent » ne s’embarrasse pas de scènes d’exposition, et étant construit comme une suite de souvenirs proustiens (leur évocation ne suit pas l’ordre chronologique), il est très aisé de se faire submerger par ce flot de souvenirs dès le début du film… ce qui arrivera tôt ou tard de toute manière.
« Saint Laurent » aligne de séquences d’une beauté formelle incroyable. Betrand Bonello avait démontré depuis longtemps son talent pour la composition d’images, mais atteignait à chaque fois une beauté si étudiée qu’elle paraissait toujours très froide. Ici, la construction du film, ce collage-couture de séquences qui saura provoquer plusieurs moments de vertige, et dont le point focal est une figure qui restera floue jusqu’au bout, amène enfin de l’émotion dans son cinéma. La rigueur formelle des compositions, le mystère central et l’inscription dans les années 70 donne même à Yves Saint Laurent des allures kubrickiennes.

Coups d’éclat
Bertrand Bonello surprend par sa direction d’acteur : on n’aurait jamais pu soupçonner auparavant que Gaspard Ulliel soit capable d’une telle interprétation, de même qu’on n’avait encore jamais vu ainsi Jérémie Rénier ou Louis Garrel. Seule Léa Seydoux résiste à ce constat, malheureusement, son personnage étant trop secondaire.
Le film est parsemé de coups d’éclat, tel que cette réunion d’affaires avec des américains où une interprète traduit simultanément toutes les conversations dans les deux langues, créant un flot ininterrompu de paroles transformant les dialogues en abstraction pure. « Saint Laurent » donne aussi réellement à voir le fonctionnement d’un atelier de couture – ce que ne montrait absolument pas le film de Jalil Lespert.
  Alternant entre ivresse et noirceur insondable, d’une incroyable beauté plastique et sonore, le « Saint Laurent » de Bonello est une œuvre d’une puissance redoutable. Le paradoxe de cette évocation, la seule qui soit digne aujourd’hui du couturier, est qu’elle n’a pas été approuvée par la succession d’Yves Saint Laurent (l’absence de contribution de la fondation Bergé-Yves Saint Laurent rend à ce propos la réussite du film plus héroïque encore)… Est-ce la preuve que la fiction de Bonello a su saisir quelque chose au-delà de la légende ?

On retiendra…
A travers la figure irrésolue d’Yves Saint Laurent, Bertrand Bonello atteint enfin ce qui manquait jusqu’à présent à son cinéma : l’émotion

On oubliera…
Bien que présente, l’émotion est encore trop souvent masquée par la froideur.

« Saint Laurent » de Betrand Bonello, avec Gaspard Ulliel, Jérémie Renier, Louis Garrel,…

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