mardi 30 avril 2013

The master (The grandmaster)


Après avoir réalisé un opus mineur en Amérique, « My blueberry nights » en 2007, Wong Kar-Wai s’est lancé dans une nouvelle œuvre à la gestation interminable, « The grandmaster ». Wong Kar-Wai fait partie des rares réalisateurs contemporains à pouvoir préparer librement pendant plusieurs années un film (avec Terrence Malick, Paul Thomas Anderson, Alexei Guerman,...) : ici, le tournage s’est étalé sur 360 jours répartis sur trois ans ! Après les triomphes de « In the mood for love » et de « 2046 », ce film historique d’arts martiaux était énormément attendu comme le retour d’un des plus grands auteurs contemporains.


Nouvelle ampleur
Aucun doute : « The grandmaster » est un film monstre. Le film porte évidemment les traces de son tournage : le montage peut paraître chaotique, inachevé. Certains segments de l’histoire apparaissent puis disparaissent sans lien véritable avec l'intrigue principale : ainsi en est-il du personnage surnommé « La lame ». Wong Kar-Wai n’a donc pas changé sa manière de faire un film, qui lui a permis de réaliser le chef-d’œuvre absolu qu’est « In the mood for love ». Il est toujours autant adepte des ralentis, des images saccadées, et de la réutilisation savante de musiques préexistantes.
Au-delà de ces marques visuelles, « The grandmaster » ne raconte au fond une histoire pas si différente de celles de ses précédents films : la passion inavouée d’un homme et d’une femme. Ce thème que le réalisateur travaille et re-travaille de film en film s’incarne ici dans un cadre plus ample, plus épique, puisque « The grandmaster », plutôt qu’une biographie du « maître » du titre - Ip Man -, est un film d’arts martiaux autant qu’un film historique sur la Chine des années 1930 aux années 1950.

Paradoxe
Malgré les magnifiques combats chorégraphiés, les reconstitutions historiques, on évolue donc en terrain connu. Après six années d’attente, c’est le paradoxe de ce qui était attendu comme un des sommets de la filmographie de Kar-Wai : on est à la fois heureux de retrouver la mise en scène unique de l’auteur - et ébloui par celle-ci - mais on est également déçu de voir que celle-ci n’a pas changé. Peut-on reprocher à un auteur ce qu’on attend de lui ? « The grandmaster » est une splendeur visuelle. Les chorégraphies des combats, où les coups affectent autant les combattants que les éléments qui les entourent sont sublimes – la plus belle étant le combat entre Ip Man et Gong Er (qui a été tournée en deux parties, à deux ans d’intervalle !). Les irrégularités de l’image, du scénario, des raccords entre des scènes tournées à des mois d’intervalle rendent évident le statut d’œuvre à part de ce nouveau film de Wong Kar-Wai.
Mais force est de constater que quelque chose n’est pas à la hauteur de l’attente monumentale provoquée par le tournage. Wong Kar-Wai n’a pas renouvelé sa mise en scène – si le cadre est plus grand, il nous rejoue au fond une fois de plus le même film : le sujet a gagné en  ampleur, mais on ne peut pas vraiment en dire autant de la puissance de son œuvre. Sa mise en scène impressionnait à ses débuts – personne n’avait encore raconté ainsi une histoire au cinéma. Aujourd’hui, si elle impressionne toujours, la nouveauté s’est évaporée. Le plus grand ennemi de Wong Kar-Wai serait-il Wong Kar-Wai ?

On retiendra…
La mise en scène toujours aussi sophistiquée de Wong Kar-Wai, les impressionnants combats chorégraphiés.

On oubliera…
Wong Kar-Wai n'étonne plus autant qu'auparavant.

« The grandmaster », avec Tony Leung, Zhang Ziyi,...

samedi 27 avril 2013

Etrange écume (L'écume des jours)




-          Michel Gondry est peut-être le seul réalisateur français à réaliser aussi librement des films de chaque côté de l’Atlantique : ses tournages alternent entre Amérique et France. Ainsi, après avoir réalisé le film-concept « The We and the I » - une de ses meilleures œuvres à ce jour – dans un lycée du Bronx, il revient en France pour son neuvième film : « L’écume des jours ».
-          Et pas n’importe lequel : l’adaptation du roman surréaliste éponyme de Boris Vian, publié en 1947 ! Je n’avais jamais autant attendu un film de Gondry : ce classique de la littérature française, qui semblait inadaptable par ses métaphores surréalistes, lui paraissait. Michel Gondry a bâti depuis ses débuts une très forte identité visuelle qu’on ne décrit pas mieux qu’avec les termes « fantaisie bricolo » : sa mise en scène, plutôt que de rendre les effets spéciaux invisibles, préfère révéler leur trucage. Ses films feignent ainsi un côté amateur, qui s’exprime par exemple dans des séquences en stop motion, procédé abondamment utilisé par Gondry.
-          Un aspect bricolage qui atteint une forme poétique très émouvante, et qui n’appartient qu’à lui. Une telle mise en scène semblait donc s’accorder parfaitement à la fantaisie de Boris Vian : les producteurs, convaincus, lui ont alloué un budget conséquent, le plus important de ses films tournés en France, qui lui a permis de recruter un casting prestigieux qui semblait, là aussi, idéal pour cette adaptation : Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh,…
-          Au final, « L’écume des jours » se révèle être un film aussi génial visuellement qu’attendu : Gondry s’est amusé à adapter le roman littéralement, mêmes dans ses passages les plus surréalistes – et le résultat à l’écran est épatant !
-          Et pourtant, tu ne nieras pas que la rencontre du réalisateur avec Vian n’a pas produit son chef-d’œuvre, bien qu’il soit à ce jour son film le plus ambitieux visuellement.
-          Gondry est-il allé trop loin ? Pour la première fois, le réalisateur semble s’être heurté aux limites de sa mise en scène : les trouvailles visuelles du réalisateur inondent l’image, à un point qu’il n’avait encore jamais osé auparavant. Mais cet émerveillement visuel ne saurait cacher un malaise au niveau des acteurs : confinés sous l’avalanche des bricolages du réalisateur, ils ne disposent plus d’assez d’espace pour incarner leurs personnages. En conséquence, Audrey Tautou, Romain Duris et Omar Sy sont réduits à jouer des caricatures d’eux-mêmes. Sans espace pour respirer, le casting idéal se révèle un piège, en ne produisant aucune surprise – mis à part celle du réalisateur jouant lui-même dans son film.
-          L’adaptation littérale du roman appelait ce fouillis visuel. C’est la première qualité du film, mais sa production ôte au film une grande part de son émotion – celle que les acteurs devaient transmettre… Difficile de croire vraiment à l’histoire d’amour entre Colin et Chloé, qui est pourtant le squelette-même du récit !
-          Le film surprend quand même dans sa deuxième partie, lorsque Gondry montre que ses bricolages sont aussi capables d’inspirer la terreur… De quoi faire de « L’écume des jours » le film le plus étrange et insaisissable de Gondry.

On retiendra…
La fantaisie bricolo de Michel Gondry portée à son paroxysme. Une magnifique bande-originale.

On oubliera…
Des personnages pas assez incarnés, noyés sous le déluge des bricolages, provoquant un déficit émotionnel du film.

« L’écume des jours » de Michel Gondry, avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy,…

samedi 20 avril 2013

Horizons (Oblivion)

Sortant de la publicité, Joseph Kosinski avait été placé aux commandes dès son premier film d’une superproduction Disney, « Tron : l’héritage ». Catastrophe scénaristique, le film s’était révélé très décevant, malgré une bonne direction artistique et, surtout, une incroyable musique de Daft Punk. Or, il semble bien que ce ratage soit plus dû aux impératifs d’une production Disney qu’à l’absence de talent de son réalisateur : avec « Oblivion », Joseph Kosinski, adaptant sa propre histoire, semble réaliser son vrai « premier film »… sous la bannière d’Universal, qui a récupéré les droits du film après que Disney les ait abandonnés – le film n’étant pas assez familial au goût du studio. « Oblivion » est un excellent blockbuster de science-fiction. Qui n’est ni une suite, ni un remake et ne vise pas non plus à l’établissement d’une franchise : c’est assez rafraichissant pour être signalé, mais c’est aussi loin d’être la seule qualité du film.
               

Un émerveillement visuel…
« Oblivion » frappe dès le début par la beauté de ses images. La direction artistique à l’épure soignée impressionne tout au long du film. « Oblivion » est aussi doté d’une magnifique BO électronique, signée par M83.
Ces deux qualités se retrouvaient déjà dans « Tron : l’héritage ». Sauf que c’étaient les seules : ce n’est pas le cas ici, puisqu’« Oblivion » est doté d’un excellent scénario, d’apparence aussi épurée que sa direction artistique, mais qui réserve en fait de multiples rebondissements. On aime particulièrement la première partie du film, qui se résume à une exploration de la Terre transformée en désert par un de ses derniers habitants, joué par Tom Cruise. Kosinski prend le temps d’installer son film, et ne court pas après l’action. Un rythme plutôt lent, presque antispectaculaire, qui détone par rapport au tout venant hollywoodien – le film maintiendra jusqu’au bout cette résistance aux effets pyrotechniques.

… abondamment référencé
L’émerveillement de ce début s’estompe un peu lorsque le premier rebondissement arrive, et que l’on se rend compte que le scénario du film n’est pas si original que ça. « Oblivion » n’invente rien (si ce n’est peut-être ces gigantesques machines vidant la Terre de son eau de mer) et accumule beaucoup de références à d'autres films de science-fiction. Pour n'en citer que deux, le « Solaris » de Tarkovski, et l’incontournable « 2001, l’Odyssée de l’espace », référence principale car on la retrouve tant dans la direction artistique que dans la mise en scène en quête d’épure. Mais sur ce point, à trop vouloir bien faire, Kosinski oublie de donner de l’épaisseur à ces personnages. L’épure, admirable ailleurs, n’aurait peut-être pas dû être poussée jusque-là. Si elle est logique chez Jack Harper, joué par Tom Cruise (qui tient ici comme dans le reste de sa filmographie le rôle d’un personnage d’apparence normale cachant en fait une identité ambiguë - rôle qui convient si bien à son jeu lisse), elle est bien plus gênante chez le personnage interprété par Olga Kurylenko, qui semble imperméable aux émotions.
Si « Oblivion » ne fait au final que recycler des thèmes connus de la science-fiction, il le fait d’une très belle manière. Passé chaque révélation, la direction que prend le film semble évidente au spectateur, mais le film étonne chaque fois en empruntant un autre chemin, qui ne fait pas forcément progresser l’intrigue. Cette avance par à-coups réussit à rendre surprenant un scénario qui, raconté d’une autre manière, paraîtrait plus convenu.

On retiendra…
L’extraordinaire direction artistique, la musique de M83, le rythme du film : tout concourt à assurer un très beau spectacle cinématographique.

On oubliera…
Rien de vraiment neuf dans l’histoire d’« Oblivion ». Un épilogue qui aurait dû être coupé au montage.

« Oblivion » de Joseph Kosinski, avec Tom Cruise, Olga Kurylenko, Andrea Riseborough,…

samedi 13 avril 2013

Dépression (Effets secondaires)



-          « Effets secondaires » est le vingt-cinquième film de Steven Soderbergh en vingt-quatre ans de carrière (si on excepte ses documentaires et courts-métrage). Cet inclassable réalisateur américain, qui obtient une Palme d’or avec son premier film « Sexe, mensonges et vidéo » réalisé à 26 ans (un record), livre depuis une dizaine d’années deux longs-métrages par an.
-          Un auteur ultra prolifique qui enchaine les réalisations à toute vitesse, mais officie aussi comme monteur et directeur de la photographie sur ses films... En 2013, cette véritable frénésie cinématographique qui dure depuis les années 2000 semble l’avoir complètement épuisé : « Effets secondaires » est en effet annoncé par le réalisateur comme son dernier film*.
-          J’ai du mal à croire qu’après tant d’années consacrées à cet art, Soderbergh arrête définitivement le cinéma.
-          C’est ce que je pensais aussi… jusqu’à ce que je voie « Effets secondaires ». Qu’il mette en pause sa carrière pour quelques années semble désormais une nécessité : Soderbergh est fatigué. La manière dont il a mis en scène « Effets secondaires » est tellement froide, mécanique, qu’il est difficile d’apprécier pleinement ce thriller - même en sachant que c’est le dernier.
-          « Effets secondaires » aurait pourtant pu être un grand film ! Si Soderbergh est fatigué, le scénariste Scott Z. Burns, lui, ne l’est pas. L’histoire, aussi étonnante que perturbante, est remplie de fausses pistes, ne cesse de changer de direction, d’instiller le doute chez le spectateur : un très bon scénario donc…
-          Qu’on ne peut évidemment pas vous raconter sous peine de vous gâcher la projection.
-          ... sur lequel Scott Z. Burns travaillait depuis neuf ans - il devait même, à l’origine, le réaliser.
-          Cela aurait sûrement mieux valu ! En soi, on ne peut dénigrer la mise en scène de Soderbergh. Mais, de « Contagion » (fin 2011) à « Effets secondaires »  le réalisateur a filmé de manière identique ses quatre derniers films. Si la précision clinique des plans faisait de « Contagion » un - voire le - sommet de la filmographie de l’auteur, elle lasse ici complètement. On a l’impression de revoir se jouer sous nos yeux le même film. L’absence de passion du réalisateur dans son œuvre, qui semble avoir été réalisée mécaniquement, annihile toute émotion.
-          Et c’est d’autant plus dommage que le scénario du film comportait une très bonne idée, jouant sur l’attente du spectateur et sa reconnaissance d’un schéma cinématographique connu… pour mieux le tromper. Une idée semblant donc parfaitement convenir à une réalisation du productif Soderbergh – mais c’était sans compter l’essoufflement du réalisateur, qui semble avoir étendu le concept à toute la longueur du film.

On retiendra…
Un scénario très fort et très dérangeant, l’interprétation de Rooney Maara et de Jude Law.

On oubliera…
La mise en scène trop froide qui donne à l’œuvre un aspect mécanique provoquant le désintérêt du spectateur au moment-même où le film devait décoller.

*A noter :
« Effets secondaires » est le dernier film de Soderbergh à sortir au cinéma... aux Etats-Unis (à ce jour). Son dernier film, « Behind the candelabra », est un téléfilm produit par HBO, sélectionné à Cannes, sorti en salles en France.

« Effets secondaires » de Steven Soderbergh, avec Rooney Maara, Jude Law, Channing Tatum,…

vendredi 5 avril 2013

Trou d’air (Les amants passagers)



-          En 2011, Pedro Almodóvar était reparti une fois de plus bredouille de Cannes, alors que « La piel que habito » est - à ce jour - son meilleur film. La sortie à un mois du festival de Cannes de son nouveau film, son dix-neuvième, laissait craindre qu’après ses cinq tentatives cannoises Almodóvar renonçait aux festivals…
-          Mais tu t’es trompé : si « Les amants passagers » n’a pas attendu Cannes, c’est tout simplement parce que le film est une pause dans la filmographie de l’auteur, un retour à la comédie et à la légèreté qui avait peu à peu abandonné ces derniers films – un film que l’on pourrait qualifier de « mineur » si cet adjectif ne sonnait pas aussi péjoratif…
-          Après les sommets de « La piel que habito », Almodóvar nous embarque à bord d’un avion dont les trains d’atterrissage bloqués empêchent tout atterrissage.
-          Dit comme ça, on a l’impression que tu nous décris le scénario d’un film catastrophe ! Sauf que l’on est dans l’univers loufoque et coloré d’Almodóvar : l’imminence de la catastrophe libère chez Almodóvar tous les comportements. Malheureusement, le film se veut plus léger qu’il ne l’est vraiment – « Les amants passagers » peine à décoller, le spectateur étant parfois loin de partager le délire dans lequel s’agitent les personnages du film. Mais ce côté forcé de la comédie peut se justifier dans le scénario-même du film – les stewards prêts à tout pour faire oublier la situation périlleuse dans laquelle ils sont embarqués –, mais aussi dans le cadre de la métaphore évidente de l’Espagne que file Almodóvar avec cet avion sans destination. Comme si le réalisateur espagnol, avec sa joyeuseté feinte, tentait de distraire les espagnols de la terrible situation économique du pays… tout en laissant bien comprendre que ce n’est qu’une feinte.
-          Ton raisonnement me paraît bien tordu ! N’empêche, le résultat est là : à part quelques moments hilarants – dont la chorégraphie des trois stewards sur la chanson « I’m so excited » - une comédie forcée reste une comédie pas vraiment drôle.
-          Mais rares sont les comédies à bénéficier d’une telle mise en scène ! Les décors simples de ce huis-clos fantasque, qui découpent l’avion en quatre espaces, de la cabine de pilotage à la classe économique, pourraient faire ressembler le film à une pièce de théâtre si on n’y retrouvait pas l’art du découpage d’Almodóvar. Le réalisateur espagnol en est aujourd’hui un maître - capable de faire bifurquer son récit vers une histoire moins légère à Madrid, un film dans le film, sans aucunement déséquilibrer sa comédie…

On retiendra…
La mise en scène ultra-colorée du réalisateur espagnol, la loufoquerie de ce voyage en avion.

On oubliera…
La légèreté semble forcée – ce qui, même voulu par le réalisateur, empêche la comédie de véritablement décoller.

« Les amants passagers » de Pedro Almodóvar, avec Javier Cámara, Carlos Areces, Raúl Arévalo,…