mardi 31 décembre 2013

L’apocalypse selon Scorsese (Le loup de Wall Street)

Depuis sa rencontre avec Leonardo DiCaprio (« Gangs of New-York », 2002), le cinéma de Martin Scorsese connait un incroyable retour de flammes, alors même que le cinéaste avait déjà inscrit son nom dans l’éternité grâce à de multiples chefs-d’œuvre, de « Taxi driver » (1976) à « Casino » (1995). Jusqu’à prouver qu’il n’avait pas encore atteint le sommet de son art : « Les infiltrés » (2006) est à ce jour son chef-d’œuvre absolu… à moins que ce ne soit « Le loup de Wall Street ».

               
Implacable portrait
Ce nouveau monstre cinématographique (2h59 de film après un montage ardu) surprend pour la vitalité qu’il démontre chez Scorsese : le réalisateur new-yorkais, qui n’a pourtant plus rien à prouver, repousse une fois de plus son cinéma dans des territoires inédits. Il enchante pour le brio de sa mise en scène, époustouflante, qui fait passer les trois heures de spectacle en un souffle. Il désole enfin pour l’implacabilité de sa charge.
                L’histoire de « Le loup de Wall Street » est celle, autobiographique, de Jordan Belfort, courtier en bourse. Le film le suit donc de son ascension à sa chute, selon le canon cinématographique de la structure pyramidale – canon que l’on doit largement à Scorsese lui-même. Avec cette histoire, le réalisateur de « Raging bull » et de « Les affranchis » semblait donc en terrain connu. Et pourtant, il n’était jamais allé aussi loin dans le portrait d’un escroc. Sans aucune concession, cette fresque représente les gloires et déboires d’un infâme anti-héros, obscène et sans scrupules, dans un monde qui lui est encore plus vicié, décadent et corrompu : celui de la finance. Contrairement à Travis Bickle (« Taxi driver »), Henry Hill (« Casino »), Jake LaMotta (« Raging bull ») ou Sam « Ace » Rothstein (« Les affranchis »), nulle rédemption pour Jordan Belfort au cours de ces trois heures. Toute identification avec ce malfaiteur est donc impossible.

Carnaval animalier
              Mais il n’est pas le seul être complètement déréglé de ce long-métrage : ce qui est littéralement montré comme la faune de Wall Street l’est tout autant que lui. Les premières images du film se font succéder les emblèmes animaliers de cet univers : du taureau de Wall Street au lion, emblème de sa firme Stratton Oakmont, en passant par le loup du titre, un ours et les singes parcourant l’open space lors de la fête sur laquelle s’ouvre le film… Addicts aux drogues, au sexe et à l’argent, selon un principe expliqué lors d’une séquence hilarante par Matthew McConaughey, Belfort et ses associés se comportent comme des bêtes, et naviguent d’orgie en orgie, dans une perpétuelle hystérie, au point-même de ne pouvoir prendre un vol long-courrier sans déclencher d’esclandre. Le film est une débauche permanente, un festoiement jouissif (car extrêmement comique) presque sans temps mort, un tourbillon, une danse au bord du gouffre où les acteurs s’en donnent à cœur joie. Servis par les meilleurs dialogues de cette année avec ceux de « Django unchained », tous les acteurs du film sont sidérants de drôlerie – si ce n’est, peut-être, Jean Dujardin (!) dans un second rôle qui est un gag à lui tout seul – ce qui n’empêche pas un acteur de se distinguer : Leonardo DiCaprio. L’acteur n’avait jamais joué un personnage aussi ouvertement comique, et il se révèle plus prodigieux que jamais, charismatique et burlesque. Le film culmine lors d’une scène impensable et inénarrable où Belfort essaye de rejoindre sa voiture alors que, sous l’emprise de la drogue, son corps ne lui répond plus. Qu’un des meilleurs acteurs américains contemporains (qui n’a pas commis un seul faux pas depuis 2001 !) ose se ridiculiser avec un tel éclat est aussi inattendu qu’hilarant.

D’autant plus puissant qu’amoral
Le film est à l’image de son personnage : il n’a aucune morale. Il en est d'autant plus puissant. Condamné à la prison après avoir trahi son milieu, Belfort continue de s’enrichir en conférencier. Le film n’en est que plus implacable. Ce portrait est tout droit destiné à suivre le même destin que celui de Tony Montana dans le « Scarface » de Brian De Palma (1983). A aucun moment le film ne montre les ravages provoqués par Belfort et sa firme. « Le loup de Wall Street » reste obstinément rivé dans le sillage hallucinant du courtier… jusqu’au plan final, où Scorsese montre l’adoration que génère le personnage et à travers lui le monde de la finance – il va sans dire que ce public conquis sur lequel s’achève le film est aussi celui du film. Vertigineux.

On retiendra…
Le film le plus cynique de Scorsese, un monstre de débauche, portés par des acteurs hors norme et un DiCaprio stupéfiant. Le plus grand film jamais réalisé sur le capitalisme.

On oubliera…
Dujardin fait une apparition en soi savoureuse, mais il souffre de la comparaison avec les autres seconds rôles…


« Le loup de Wall Street » de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Margot Robbie,…

1 commentaire:

  1. MMmmmmm très apprécié pour ma part, je regrette tout de même la simplicité du sujet (Oui c'est une autobiographie) mais cela reste un peu facile à traiter. Scorsese + DiCaprio je m'attendais à quelque chose de plus soutenu. Sinon tu ne parles pas du second rôle Jonah Hill tout juste nominé aux oscars qui est vraiment exceptionnel ! Continue tes critiques je me régale. Biz

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