mercredi 28 août 2013

La disparition de la magie au cinéma : où sont passées les fées des effets ?

Cet été, les blockbusters américains ont, plus que jamais, (ab)usé des effets spéciaux. Des acrobaties en apesanteur de « Star Trek into darkness » aux combats de titans de « Pacific rim », en passant par les cavalcades sur le toit des trains de « Lone Ranger » : sans eux, le spectacle des films hollywoodiens estivaux ne peut plus exister. Pour contrer leur banalisation, la course au spectaculaire amène les producteurs et les réalisateurs à verser dans la surenchère. Une course de longue haleine puisque les studios s’y sont engagés depuis l’invention du blockbuster (en 1975 avec « Les dents de la mer » de Steven Spielberg), mais qui, commencée à l’allure d’une course de fond, a viré depuis les années 2000 au sprint. Sans juger de la qualité du film, « Man of steel » de Zack Snyder semble être le dernier record en date en la matière – le délire pyro-technico-numérique est tel qu’on a l’impression d’assister à deux séances de cinéma en un seul film.
Cependant, depuis les années 2000, le niveau moyen des films estivaux ne s’est pas vraiment amélioré. Paradoxe ? Pas vraiment, puisque de bons effets spéciaux n’ont jamais fait un bon film – c’est même devenu un cliché que de l’écrire. Ce qui compte pour faire naître l’émotion n’a pas changé depuis le début du cinéma : le scénario, les interprétations des acteurs, la bande originale, et surtout la réalisation. La surenchère des scènes de démolition massive 100% numériques parait donc un peu vaine et est marquée par le sceau d’une péremption rapide. Le délire destructeur de « Man of steel » impressionnera-t-il toujours après que l’on aura vu sa suite en 2015 ?
L’obsolescence rapide est le principal défaut des effets spéciaux numériques – qui comportent par ailleurs de très nombreux avantages. Mais ceux produits jusqu’à aujourd’hui manquent encore cruellement de l’humanité des effets « classiques », le plus souvent mécaniques. « Pacific rim » de Guillermo del Toro était dédié à Ray Harryhausen, qui s’est éteint cette année. Harryhausen était le concepteur des effets spéciaux, entre autres, de « Le septième voyage de Sinbad » (1958), « Jason et les Argonautes » (1963), « Le choc des titans » (1981 – à ne pas confondre avec son remake de 2010). Harryhausen avait repris et porté à son point culminant la technique d’animation et d’incrustation dans l’image de miniatures, qu’il avait découverte avec « King Kong » (1933). Soucoupes volantes, monstres marins, dragons, cyclopes… Ray Harryhausen a animé toute sa vie durant un impressionnant bestiaire issu de la mythologie. Sa plus grande réussite (et sa plus célèbre) étant le combat de Jason contre un contingent de squelettes à la fin de « Jason et les Argonautes ». Ces effets spéciaux-là n’ont pas pris une ride : ils sont toujours aussi singulièrement émouvants. L’aspect mécanique, légèrement saccadé (puisque les miniatures sont animées image par image) de ces effets font mesurer au spectateur le travail de l’animateur. Lorsqu’on regarde la fameuse scène de Jason contre les squelettes, on sent qu’il a fallu quatre mois de travail pour produire ces… trois minutes de combat.
Un aspect « artisanal » qui a disparu avec les effets numériques actuels, qui sont paradoxalement trop parfaits. L’œil ne décèle plus la création humaine derrière les effets numériques et, sans imperfections, le regard du spectateur glisse dessus sans s’émouvoir. La perfection est ici l’ennemi du bien. Comme si l’esprit avait besoin d’un rappel que ce qu’il regarde est faux pour mieux se forcer à y croire. Les imperfections de ces effets plongent donc plus profondément le spectateur dans l’état de naïveté qui lui permet de se laisser emporter par un film, et d’oublier qu’il n’est pas la réalité. Jadis, les films muets ou les bons effets spéciaux non numériques vous plongeaient immédiatement dans cet état-là. Aujourd’hui, est-ce qu’on l’atteint encore ?
Heureusement, oui. Certains réalisateurs hollywoodiens résistent à la déshumanisation du numérique. Le premier d’entre eux est le réalisateur de « Pacifc rim », Guillermo del Toro. Avec les deux « Hellboy » et « Le labyrinthe de Pan », il a privilégié les costumes et l’animatronique à la motion capture, les décors artificiels aux fonds verts, pour atteindre une incroyable émotion visuelle et une poésie qu’on croyait oubliée. Cette logique a été poussée jusqu’à son paroxysme par Michel Gondry, qui, de « Eternal sunshine of the spotless mind » à « L’écume des jours », ne vise plus avec ses effets spéciaux à la crédibilité mais à la poésie du faux.
On aurait tort toutefois de conclure que seuls ces réalisateurs savent encore utiliser des effets spéciaux aujourd’hui. Les effets numériques peuvent aussi donner d’excellents résultats (et inaccessibles par des techniques traditionnelles). Ils émeuvent lorsqu’ils font partie d’une grande mise en scène. James Cameron, J. J. Abrams en sont les maitres. Ainsi que Zack Snyder, dont il était question au début de l’article : son recours massif au numérique transforme ses films en expérience abstraite (« 300 »).

Cependant, il n’en reste pas moins que les effets numériques ont encore un long chemin à parcourir avant d’égaler la puissance inhérente des effets traditionnels. Quand donc les producteurs hollywoodiens se rendront-ils compte que, dans la course au spectaculaire, leurs blockbusters concourent sur la mauvaise piste ?

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