mercredi 26 juin 2013

The wrestler (Sarah préfère la course)

« Tom à la ferme » de Xavier Dolan n'était pas prêt à temps pour le soixante-sixième festival de Cannes, c’était donc un premier film, « Sarah préfère la course » de Chloé Robichaud, qui représentait le Québec en sélection officielle, à Un certain regard - l’autre film québécois sélectionné cette année-là à Cannes, « Le démantelement » de Sébastien Pilote, l'ayant été à la Semaine de la critique.


           Il pourrait être  évidemment question du sport, et de l’engagement qu’il représente, dans « Sarah préfère la course ». Mais le choix de la course - plutôt qu’une autre discipline - sert en fait surtout à filer une métaphore autour de la fuite en avant. « Sarah préfère la course » a en effet pour sujet principal le passage à l’âge adulte, et les multiples choix qu’il engendre. La course est quand même l’occasion pour Chloé Robichaud de réaliser de belles compositions – c’est dans les quelques compétitions que l’on trouve les plus beaux plans du film.
Le film se distingue, dans un sujet aussi couru au cinéma, par une certaine originalité de son scénario, qui est souvent surprenant dans sa première heure. « Sarah préfère la course » se révèle être à certains moments très drôle ! La force du film tient tout entière dans l’interprétation obnubilée de Sophie Desmarais, qui est presque de tous les plans. Le film est modelé à l’image de son personnage. La mise en scène suggère alors beaucoup, sans développer, continuant à tracer son chemin presque imperturbablement.
Toutefois, l’enthousiasme de départ finit curieusement par s’évaporer dans la dernière partie, lorsque le film s'attaquera frontalement à ce qu'il évoquait jusqu’alors, en allant au bout des questionnements qu’il avait posé. Or, c’est la suggestion qui séduisait, et en allant au terme de ces sujets, « Sarah préfère la course » perd son originalité.
           Une erreur à mettre au crédit de la qualité de premier long-métrage de cette œuvre, qui n’en reste pas moins intéressante et permet la découverte d'un nouveau visage du cinéma québécois.

On retiendra…
Sophie Desmarais porte ce film finement réalisé dans sa première heure.

On oubliera…
Une dernière partie où le film s’essoufle.

« Sarah préfère la course » de Chloé Robichaud, avec Sophie Desmarais, Jean-Sébastien Courchesne,…

Critique 144 (Room 237)

Si un film de Kubrick devait faire l’objet d’un documentaire sur ses interprétations, on aurait d’abord pensé à son chef-d’œuvre « 2001 : l’odyssée de l’espace » (1968). Et pourtant, c’est à « Shining » (1980) que Rodney Ascher consacre un étonnant documentaire, « Room 237 », sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs l’an dernier à Cannes – même s’il sera question, au début du film, de la révolution cinématographique que provoque, pour un spectateur, la première projection de « 2001 : l’odyssée de l’espace ».


Projection, fascination, obsession
« Room 237 » est un montage vidéo réalisé à partir d’extraits de films majoritairement issus de la filmographie de Kubrick, et surtout de « Shining ».  Ce montage met en lumière les explications fournies en voix-off par cinq « experts » de « Shining ». Jamais le film ne présentera explicitement le visage de l’un de ces experts : le sujet du documentaire étant l’obsession suscitée par le visionnage de « Shining » (et, plus généralement, celle suscitée par le cinéma), le film ne se séparera jamais de son sujet. Rodney Aschder s’est même amusé à insérer des images de « Shining » dans le cadre-même des extraits qu’il réutilise – on voit ainsi, au début du film, Tom Cruise dans « Eyes wide shut » regarder des photos du film d’horreur de Kubrick.
La description de ce procédé ne rend que faiblement compte du pouvoir exercé par « Shining » sur les cinq experts. Chez eux, la fascination dégagée par le mystère de « Shining » s’est muée en obsession : que veut dire « Shining » ? Que cache-t-il ? Ces cinq personnes présentent cinq théories, certaines solides et plus ou moins connues, d’autres tellement inattendues que leurs présentations sont hilarantes. Mais ce qui provoque le rire n’est pas l’invraisemblance des explications avancées : l’image est toujours là pour nous prouver que les détails relevés par l’expert sont bel et bien là. Car toutes les théories s’appuient sur des détails, parfois infimes, voire subliminaux – mais, encore une fois, bel et bien présents.
« Room 237 » est donc hautement passionnant, non seulement pour la présentation des différentes théories développées par ces « experts », mais aussi pour les questions qu’il pose sur le cinéma et l’art en général. Quelle est la part délibérée des détails relevés et analysés par les experts ? Ceux-ci vont jusqu’au faux-raccords. Ces détails sont-ils volontaires de la part de Kubrick ? Si des spectateurs ont pu les remarquer – parfois dès la première projection – se peut-il qu’ils aient échappé au réalisateur ? Le spectateur ne va-t-il pas injecter son propre sens dans une œuvre ?...
Des questionnements vertigineux qui montrent à quel point la projection d'un film appartient à ses spectateurs, qui sont capables, à leur tour, d’y projeter  tout… et son contraire. « Room 237 » s’avère donc être un documentaire capital sur le cinéma, plus que sur le seul film « Shining ».

On retiendra…
Des interprétations incroyables qui dévoilent toute la fascination que peut exercer un film et une œuvre d’art sur ses spectateurs. Des interprétations qui, farfelues ou non, ne font que grandir le génie de Stanley Kubrick.

On oubliera…
Rien.


« Room 237 » de Rodney Ascher, avec Bill Blakemore, Geoffrey Cocks, Juli Kearns, John Fell Ryan et Jay Weidner,…

mardi 25 juin 2013

Le paradoxe Z (World war Z)

La production de l’adaptation du roman de Max Brooks, « World war Z », a été un véritable feuilleton. Les scénaristes se sont succédés pour réécrire le scénario de ce film, qui n’était pas totalement terminé lorsque le tournage a commencé. Lorsque celui-ci se termina, en octobre 2011, deux nouveaux scénaristes, Damon Lindelof et Drew Goddard, furent engagés pour réécrire la fin, qui sera tournée six mois plus tard. Le budget du film explosât à 200 millions de dollars… ce qui en fait, et de loin, le film de zombie le plus cher de l’histoire. En conséquence, le film est converti en 3D - alors qu’il est réalisé par Marc Forster, disciple de Paul Greengrass et adepte de la mise en scène stroboscopique. Avec « Quantum of Solace », il avait livré quelques une des scènes d’action les plus rapidement montées vues au cinéma - et aussi les plus illisibles.
Bref, tout courait à la catastrophe. De quoi faire de « World war Z » l’un des blockbusters les plus intéressants de l’année 2013.


Titanesque
Si « World war Z » est le film de zombie le plus cher jamais produit, c’est aussi le plus ambitieux. Le gigantisme de cette invasion zombie suscite une peur que n’avait encore jamais réussi à créer un autre film du genre. La partie du film qui se déroule à Jérusalem est, de loin, le moment le plus époustouflant du film… et donc, aussi, celui qui met le plus mal à l’aise. La vision de Jérusalem prise d’assaut par des milliers de zombies est aussi terrifiante qu’originale.

Tension vs vraisemblance
Cependant, c’est lors de cette même séquence que le film perd un peu de sa cohérence : auparavant latente, le film bascule alors pleinement dans la logique de jeu-vidéo propre au genre du film de zombie. Le cauchemar de l’invasion mort-vivante ne cesse de poursuivre Brad Pitt, de péripétie en péripétie, jusqu’à épuisement de toute vraisemblance. Dès que son personnage atterrit à l’un des quatre coins du globe, la place ne tarde pas à être envahie par les zombies ! Ce perpétuel enchainement de scènes d’envahissement est un choix scénaristique créant une tension captivante, s’accroissant à chaque péripétie – mais ce même enchainement produit du même coup à chaque nouvelle péripétie une diminution de la crédibilité de ce qui est montré, diminution qui affaiblit la tension parallèlement à sa suscitation. Ce double mouvement paradoxal a toujours été l’un des enjeux des films de zombie. La solution la plus privilégiée ces dernières années étant d’accentuer l’enchainement des scènes d’invasion au mépris de toute vraisemblance, pour susciter ou l’effroi par l’effet d’avalanche, ou le divertissement second degré.
Or, c’est au sérieux que prétend Marc Forster : il n’y a pas une once d’humour dans « World war Z », qui ne vise pas à la série Z, si ce n’est quelques moments d’ironie. Ce premier degré pâtit d’une exposition trop rapide, puisque Marc Forster ne prend pas vraiment le temps de dessiner ses personnages avant de les jeter dans l’apocalypse. En conséquence, « World war Z » ne fait pas (si) peur, excepté quelques beaux effets de sursaut - auxquels il est difficile de résister en 3D.

Zombie, péplum et huis-clos
Toutefois, le film s’en sort quand même, grâce au gigantisme déjà cité de ces visions, et surtout grâce à sa dernière partie, le plus grand moment de tension du film. C’est paradoxalement lorsque « World war Z » met de côté ses ambitions d’invasion mondiale pour se transformer en huis-clos que le film convainc le plus, et finit par enthousiasmer ! Faut-il en conclure que le genre s’accommode peu avec le péplum ?
Ce paradoxe fait de « World war Z » le film de zombie le plus remarquable sorti ces dernières années, et aussi l’un des blockbusters les plus originaux et risqués. Dommage, toutefois, qu’il ne réinvente rien et se contente de refaire du déjà-vu en plus gros.

On retiendra…
L’ambition de ce film de zombie qui livre des visions véritablement cauchemardesque. La dernière partie du film, un grand moment de tension.

On oubliera…
Le côté jeu-vidéo du film, écueil du genre qui n’a pas été résolu ici.


« World war Z » de Marc Forster, avec Brad Pitt, Mireille Enos,…

dimanche 16 juin 2013

Superman begins (Man of steel)

Les super-héros n’ont jamais été aussi populaires, plus particulièrement aux Etats-Unis. Leur succès invraisemblable eu égard à la qualité cinématographique de leurs aventures ne cesse de croitre. Au point que les trois grands studios hollywoodiens détenteurs de licences de comics, à savoir WarnerBros (DC Comics), Columbia Tristar (Spider-Man), 20th Century Fox (X-Men, les 4 fantastiques) et Disney (les super-héros Marvel restants), multiplient les films qui leur sont consacrés, sans aucune modération : lorsque le potentiel des suites est épuisé, les producteurs n’attendent plus pour relancer les franchises. Columbia n’a ainsi patienté que cinq ans après la sortie de « Spider-Man 3 » pour lancer un remake « amazing » des aventures de Spider-Man sur grand écran (« The amazing Spider-Man », 2012). « Hulk » d’Ang Lee n’a lui aussi tenu que cinq ans avant qu’un remake « incroyable » ne voie le jour (« L’incroyable Hulk », 2008). Cinq ans aussi pour passer de « X-Men, l’affrontement final » à « X-men : le commencement » (2011) chez 20th Century Fox. Et huit ans, enfin, pour que WarnerBros fasse un reboot des aventures cinématographiques de Superman après l’échec – cuisant – du film de Bryan Singer (« Superman returns », 2006).
Le studio a décidé pour cette nouvelle tentative de lancement d’une franchise super-héroïque au très fort potentiel lucratif d’appliquer la méthode gagnante de la trilogie « Batman » de Christopher Nolan. L’équipe de Batman (scénario, production, musique) est donc reconduite sur « Man of steel », à la différence notable que Christopher Nolan, s’il signe l’histoire de « Man of steel », n’officie ici qu’en tant que producteur. La réalisation a en effet été confiée au prodige Zack Snyder – plus ou moins forcé d’accepter cette commande, après la déroute au box-office de « Sucker punch » (2011).


 Proverbe, cinéma et super-héros
On ne change pas une équipe qui gagne est le proverbe qui semble avoir guidé WarnerBros dans la production de « Man of steel ». C’est frappant d’emblée: « Man of steel » a bel et bien été calqué sur les dernières aventures cinématographiques de Batman. De la photographie sombre, qui rappelle beaucoup celle développée par Wally Pfister pour la trilogie de Nolan, au scénario, qui entend retracer et réinterpréter les origines du super-héros à la manière de « Batman begins », en passant par la musique de Hans Zimmer, fortement similaire à celle développée pour le chevalier noir, tout concourt à faire subir à Superman les mêmes évolutions que celles connues par l’homme chauve-souris. Le film doit donc décrire, sur un mode résolument réaliste et sombre, un super-héros plus humain que jamais, en proie au doute, tourmenté par son passé, afin d’atteindre à une émotion opératique. Avec un tel cahier des charges, on a du mal à reconnaitre la mise en scène de Zack Snyder, qui a dû mettre de côté ses excentricités graphiques, son usage des ralentis et son montage sous forme de clip (Hans Zimmer ayant de toute manière remplacé Tyler Bates à la composition). Contrairement aux « Batman » réalisés et écrits par Nolan, « Man of steel » est donc un pur film de commande.
L’erreur de WarnerBros est d’avoir cru que le proverbe « On ne change pas une équipe qui gagne » s’appliquait aussi à l’art, et donc au cinéma. Mais il n’en est rien, comme le prouve « Man of steel ». Malgré tous leurs efforts, le scénario, la photographie et la direction artistique (le costume de Superman a été intégralement relooké) ne peuvent faire de Superman cette figure réaliste, sombre et tourmentée. Tout ce dispositif entre en contradiction avec les superpouvoirs du héros, capables de voler tout autour du globe, dans l’espace, et d’envoyer des rayons laser avec ses yeux. Le matériau de départ du comic était peut-être trop ridicule pour être adapté de cette manière… Et l’humour, s’il n’est pas totalement absent, et désespérément manquant.

Le problème de la cape
Toute la partie de l’histoire relevant de la science-fiction et du space opera, traitée sur le mode réaliste, semble du coup très lourdement mise en scène et fait plutôt sourire que pleurer. Citons en particulier la révélation à la Terre de l’existence d’une espèce extra-terrestre : l’écriture comme la mise en scène sont alors aussi maladroits que ce sujet était risqué. De même pour ces histoires d’atmosphère terrestre et kryptonienne, qui affaiblissent ou renforcent les héros : elles ne ressemblent qu’à des grosses ficelles scénaristiques.
Et c’est plutôt dommage étant donné les moyens mis en œuvre pour cette partie extra-terrestre de l’histoire. Les costumes comme les décors et les vaisseaux sont impressionnants, même si le kitsch n’est parfois jamais loin. Mais il est impossible de croire encore à cet univers lorsqu’on voit y débouler un homme en combinaison bleue portant une cape rouge.
L’émotion que le film veut donc dégager est donc sérieusement mise à mal par l’irréductible invraisemblance de Superman.

Action et contradiction
Le film gagne quand même son titre d’honnête divertissement pour ses scènes d’action ultra spectaculaires, où la frustration latente du réalisateur peut enfin se libérer : on reconnait alors, enfin, la patte du réalisateur. Zack Snyder signe ici une suite de scènes d’action parmi les plus impressionnantes qu’ait produites Hollywood ces dernières années. Les superpouvoirs de permettent à Snyder de s’en donner à cœur joie : il filme ainsi un duel se déroulant sur la Terre comme dans l’espace, où les camions, gratte-ciels et satellites sont autant d’armes balistiques potentielles… La 3D ne rend que toutes ces folies visuelles encore plus ahurissantes.
Des scènes d’action très nombreuses qui font assurément de « Man of steel » un des blockbusters les plus spectaculaires de l’année, mais dont l’extravagance entre aussi en totale contradiction avec la veine réaliste du film. Après avoir fait le tour de la Terre, Superman et ses ennemis finissent comme par hasard leur combat là où il a commencé, soit devant les yeux des personnages secondaires… dont la place est vraiment problématique dans ces scènes d’action à l’échelle stratosphérique.
C’est donc dans ces scènes d’action qu’est le plus visible la contradiction entre la volonté de réalisme du film et l’invraisemblance de ce qu’il raconte effectivement – une contradiction présente dès le départ, puisqu’on peut la rapprocher de celle existant entre le matérialisme de Christopher Nolan et la fantaisie de Zack Snyder.
On espère que Zack Snyder se libérera bien vite de cette commande pour revenir à ces expérimentations visuelles. Elles avaient fait merveille pour « Watchmen », le film de référence sur les super-héros.

On retiendra…
Des scènes d’action ébouriffantes qui s’étendent aussi bien sur la Terre… que dans l’espace !

On oubliera…
L’imposition d’un traitement réaliste à un personnage qui y résiste jusqu’à créer une contradiction entre la mise en scène du film et son sujet.


« Man of steel » de Zack Snyder, avec Henry Cavill, Michael Shannon, Amy Adams,…

Trekking dans les étoiles (Star Trek into darkness)

En 2009, J. J. Abrams révolutionne une saga cinématographique de science-fiction ridicule, célèbre pour son kitsch qui n’a fait qu’empirer en vieillissant : « Star Trek ». Cette franchise increvable, qui s’étalait alors sur dix films et presqu’autant de nanars, connait alors, sous la caméra d’Abrams, bien plus qu’une résurrection : une nouvelle naissance, tant le « Star Trek » du futur réalisateur de « Super 8 » surpasse ces prédécesseurs. Une nouvelle naissance que poursuit le réalisateur avec la sortie de « Star Trek into darkness », douzième film (!) de la saga.



Fluorescence éblouissante
C’est avec une immense joie que l’on retrouve la vision d’Abrams de « Star Trek » : grâce à une direction artistique renversante et à sa mise en scène aux accents spielbergiens, celui-ci a réussi à transformer les codes de la saga en une splendeur visuelle. C'est peu dire que l’univers de « Star Trek » a perdu toute trace de kitsch. Le champ est traversé d’explosions de couleurs fluorescentes, de lens flare, forgeant une identité visuelle forte que l’on ne peut que célébrer de nouveau dans cette suite.
L’introduction, avec sa planète extra-terrestre à la végétation rouge fluo, est le plus bel exemple de la merveille visuelle qu’est devenu « Star Trek ». Des costumes (mention spéciale à la tenue de vulcanologue ou aux combinaisons spatiales) aux décors, « Star Trek into darkness » ne cesse d’éblouir, et avec encore plus de force en 3D. Sans oublier la musique de Giacchino, compositeur attitré d’Abrams, toujours aussi épique.

La méthode Abrams
« Star Trek » passionnait aussi pour son scénario : J. J. Abrams, grâce à une histoire bluffante de boucle temporelle, jouait avec le passé du matériau qu’il remodelait (via notamment le rôle de Leonard Nimoy, l’interprète historique de Spock). Si « Star Trek into darkness » ne joue plus sur la découverte de l’univers de la saga –  plutôt qu’un voyage dans les étoiles, c’est une sorte de chasse à l’homme sur fond de terrorisme que nous propose le film –, il joue toujours sur une réappropriation aussi intelligente que savoureuse du passé de la saga. Le film s’articule autour d’un personnage à l’identité mystérieuse, dont le dévoilement fera basculer le film dans un vertige de référence.
« Star Trek into darkness » est l’occasion pour Abrams de pousser à ses limites certains ressorts scénaristiques : le film est une escalade graduelle de retournements de situations propices à des scènes d’action et, surtout, à des acrobaties spatiales évoquant celles d’un « Mission Impossible » sous apesanteur, qui font toute l’originalité et le charme de ce space opera hors du commun. L’occasion, aussi, de revisiter de la manière la plus élégante qui soit les autres films de la saga : il est fortement conseillé d’avoir vu le deuxième opus pour apprécier les remaniements qu’opère Abrams dans « Star Trek into darkness ».
La manière dont le réalisateur recycle les influences pour en imposer une forme nouvelle aussi puissante qu’émouvante est unique, et confirme une nouvelle fois le statut d’auteur d’Abrams au sein d’Hollywood.

Vive Spock !
Ce qui, enfin, séduisait dans « Star Trek » et que l’on retrouve dans « Star Trek into darkness » est l’humour, essentiel dans le travail de recyclage et de redéfinition d’Abrams, qui hisse sans peine ces deux films parmi les meilleurs divertissements hollywoodiens de cette décennie.
L’insensibilité de Spock est la source ici d’une ironie spectaculaire – il parait incroyable qu’aucun des films de la saga n’ait exploité jusqu’alors le potentiel comique du personnage ! De quoi démontrer une fois de plus le talent et l’audace de celui qui s’est imposé en quatre films comme l’un des réalisateurs les plus importants d’Hollywood.

On retiendra…
Abrams poursuit son travail de résurrection visuellement époustouflant d’une saga dont il serait euphémique de dire qu’elle ne s’est jamais aussi bien portée. Action, humour et émotion : une réussite absolue.

On oubliera…
Des retournements de situations qui peuvent parfois virer au procédé.


« Star Trek into darkness » de J. J. Abrams, avec Chris Pine, Zachary Quinto, Benedict Cumberbatch, Zoe Saldana,…

vendredi 14 juin 2013

Le film d’après (After earth)

C’est l’un des réalisateurs les plus controversés d’Hollywood, à la carrière fascinante. M. Night Shyamalan conquiert les critiques et le box-office dès son deuxième film, « Sixième sens » (1999), grâce au procédé scénaristique du « twist final » qui assurera les succès de ses longs-métrages suivants (« Incassable », « Signes », « Le village »)... Un triomphe impressionnant qui donne à Shyamalan une liberté totale dont il finira peut-être par s’enivrer : de 2006 à 2010, « La jeune fille de l’eau », « Le dernier maître de l’air » et dans une moindre mesure « Phénomènes » sont des échecs publics et critiques retentissants. Le réalisateur semble depuis s’être enfermé dans une fuite en avant : bien qu’il essuie échec sur échec, les studios lui accordent des budgets de plus en plus conséquents…
On pourrait croire que son nouveau film « After earth », ne briserait pas cette suite malheureuse, avec son budget supérieur à 100 millions de dollars et son histoire imaginée par un autre grand mégalomane d’Hollywood, Will Smith. Or, il n’en est rien : si le film est (malheureusement) une nouvelle déroute au box-office, c’est indubitablement l’un des meilleurs du réalisateur.


Un retour éclatant
Pour la première fois, M. Night Shyamalan s’attaque au genre le plus spectaculaire de la science-fiction : le space opera. Tout comme le récent « Oblivion », « After earth » enthousiasme pour sa direction artistique et son scénario. Shyamalan nous plonge dans un futur inattendu et original : costumes et décors, d’apparence brute et naturelle, cachent leur sophistication. De même que le scénario, qu’on croirait aussi simple qu’un jeu-vidéo, se révèle être une suite quasi ininterrompue de bonnes idées. Dont celle, magnifique, de ces extra-terrestres devant susciter la peur de leur proie pour les repérer.
La référence au jeu-vidéo n’est pas anodine : M. Night Shyamalan livre ici un film à la narration aussi clairement inspirée de la progression jeu-vidéoludique que le scénario d’ « Inception » réutilisait la construction en niveaux des jeux-vidéos. Passé une exposition des plus dépaysantes et dérangeantes (grâce, on l’a déjà dit, à la formidable direction artistique), « After earth » annonce un récit en ligne droite dont on devine sans peine la conclusion sous forme de boss final. On redoute alors qu’une telle mise en scène soit une mauvaise manière de faire avancer le film… Or, celle-ci surprend finalement et convainc entièrement pour les surprises qu’elle parvient à susciter. En effet, il y a non seulement celles, programmées, des péripéties de cette quête, qui renouvellent à chaque instant le plaisir que l’on a à suivre cette histoire (et qu’on ne peut évidemment pas détailler pour ne pas gâcher la projection), mais aussi les écarts par rapport à cette ligne droite. C’est dans ces écarts que Shyamalan aborde le sujet de la quête identitaire qui irrigue tous ces films, tandis que la ligne droite reprend les préoccupations écologiques qui avaient été si décriées par la critiques dans « Phénomènes ». Et, jusqu’à la fin, on ne peut s’empêcher de se demander si le scénario s’achèvera ou non sur un twist final… Un suspense qui sera à jamais attaché à chaque nouveau film du réalisateur de « Sixième sens ».
Surtout, Shyamalan enthousiasme pour le merveilleux qu’il suscite. Comme Guillermo del Toro, le réalisateur fait partie de ces conteurs capables de réenchanter un imaginaire, ici celui du space opera. Au moment où tant d’autres échouent à s’affranchir de la pesanteur des références, comme Joseph Kosinski avec « Oblivion ». « After earth » est donc une très belle surprise, et l’une des plus belles réussites d’un réalisateur que l’on croyait pourtant perdu.

On retiendra…
Shyamalan est de retour avec une très belle fable de science-fiction.

On oubliera…
Les effets spéciaux numériques, qui étrangement pas toujours de très bonne facture.


« After earth » de M. Night Shyamalan, avec Jaden Smith, Will Smith,…