jeudi 6 septembre 2012

Nolan rises ? (The dark knight rises)

Christopher Nolan, parce qu’il écrit lui-même les scénarios de ses blockbusters, qu’il a su imposer son style aux producteurs (on peut désormais employer l’adjectif « nolanien » dans les critiques) et qu’il rencontre un énorme succès public, a désormais sa place parmi les démiurges hollywoodiens. Dire que la conclusion de la saga « Batman » était très attendue est un euphémisme. Chaque année, une poignée de blockbusters américains cristallisent toutes les attentes (« Prometheus », « The dark knight rises », « Le Hobbit : un voyage inattendu » en 2012). Attentes qui, amplifiées jusqu’à l’absurde par la promotion, aboutissent souvent à une déception – même si le film est bon, comme c'est le cas ici.


Comparé aux autres blockbusters estivaux, la note peut paraître sévère. Mais pas si l’on se réfère à la filmographie de Christopher Nolan. Que s’est-il passé ? Ce film, qui aurait dû être l’apothéose de la trilogie, n’est finalement qu’un opus mineur du réalisateur. Le style Nolan qui a si bien marché dans « The dark knight » et « Inception » s’est ici alourdi. Passage en revue de ce qui fait qu’un film est « nolanien ».

Réalisme
Le Batman de Nolan est fortement ancré dans le réel, loin du fantastique gothique des versions de Tim Burton, que je regrette. Un ancrage qui permet à la saga de multiplier les parallèles entre Gotham City et notre monde, ce qui apporte la profondeur trop souvent absente du reste des blockbusters. Le braquage de la Bourse et les effondrements d’édifices dans Gotham City, l’emprisonnement de l’homme chauve-souris dans une prison au Moyen-Orient sont ainsi très évocateurs… sans qu’une quelconque vision globale ne ressorte pour autant de cet opus. Ces parallèles se brouillent les uns les autres au point de ne plus vouloir dire grand-chose – ou plutôt, de faire suspecter au spectateur qu’ils ne veulent rien dire et ne sont que simples péripéties. Le bilan de ce parti pris réaliste est donc pour le moins mitigé.
Cette volonté de réalisme a un autre défaut, celle de tuer tout mystère. Tous les agissements des personnages sont expliqués par leur passé douloureux. La fascination qui entourait le physique impressionnant de Bane se réduit dramatiquement une fois que son passé nous a été expliqué par des flash-backs ou des récits qui rendent souvent les dialogues trop écrits et irréalistes… Pourquoi donc, alors, lui avoir mis un masque ? Masque qui handicape de plus gravement la performance de l’acteur Tom Hardy, sans aucun doute exceptionnelle, mais dont il reste peu de choses une fois son figure cachée et sa voix transformée. A l’inverse, le personnage de Catwoman se retrouve être le plus réussi du film, et peut-être de la trilogie avec le Joker, car même si ses motivations sont clairement définies  (elle veut effacer les traces de son passé), le scénario ne révèlera pas les raisons de ces motivations (quel est ce passé ?).[1] Ce qui fait que ce personnage ne cessera de fasciner, son comportement restant imprévisible pour le spectateur, d’autant plus qu’Anne Hathaway livre ici sa meilleure interprétation à ce jour.

Opéra
                Heureusement, certains volets de la mise en scène de Nolan fonctionnent toujours aussi bien. Plus que jamais, l’histoire du chevalier noir a des allures d’opéra. On pourrait justifier ainsi certaines répliques trop écrites, mais cela vaut surtout pour les magnifiques décors géométriques et la musique toujours plus épique d’Hans Zimmer, terriblement impressionnantes en IMAX. Les scènes absurdement littérales de la libération des prisonniers par Bane ou l’incroyable bataille finale dans les rues de Gotham entre policiers et rebelles sont des moments où le film bascule vraiment dans l’opéra. Les mouvements de foule sont alors aussi ordonnés, géométriques que sur une scène de théâtre, donnant à la mise en scène de Nolan une écrasante majesté. La lutte entre Bane et Batman ressemble au combat de deux titans, impression aidée plus ou moins volontairement par la chorégraphie pataude du combat (on est loin du ballet aérien des combats en apesanteur d’« Inception »).…
                « The dark knight rises » réserve aussi quelques grands moments épiques comme Nolan sait si bien les faire. L’escalade hors de la prison au Moyen-Orient est une des scènes inoubliables du film, tout comme le démantèlement en plein vol de l’avion qui en impose dès l’ouverture du film.
                Mais le final, où le montage alterne entre les actions des différents protagonistes pour la survie de Gotham City, n’atteint pas le vertige d’« Inception ». Le décompte du compte à rebours ne convainc pas… la belle mécanique des scénarios de Nolan se rouille ici avant la fin du film.

Misogynie
Une autre composante désormais – et malheureusement – incontournable de l’œuvre de Christopher Nolan est l’ambiguïté de la place des femmes dans ses longs-métrages. De film en film, les femmes ne sont que des entraves aux actions du héros masculin… et ne sont jamais loin d’incarner le mal. Qu’elles soient de chair et d’or ou souvenirs, elles poussent toujours le héros à la faute (« Le prestige », « Inception »), l’empêchent de s’accomplir, de se « relever » comme ici (et dans « Inception »), quand elles ne sont pas sacrifiées (dans ce qui est certes une des meilleurs scènes de « The dark knight »). Dans « Inception », c’est à une femme que le personnage de DiCaprio demandait de concevoir des labyrinthes, comme si elles seules avaient l’esprit suffisamment torturé pour cela.
Le retournement final avec Marion Cotillard m’a estomaqué. Au-delà de la surprise du retournement final difficilement crédible, c’est la résurgence inattendue de cet aspect des histoires de Nolan qui m’a le plus sonné. Christopher Nolan, misogyne ?[2]

Blockbuster
                Depuis le remake d’« Insomnia », Christopher Nolan ne réalise plus que des blockbusters. On ne s’en plaindra pas, car sans lui, on n’aurait pas grand-chose à voir durant les étés américains au cinéma. Il en écrit lui-même les scénarios… mais force est de constater qu’il ne semble pas toujours aussi libre qu’il le voudrait. La trilogie « Batman » a été une commande qui lui a permis de réaliser deux projets plus personnels, « Le prestige » et « Inception ». L’attente démesurée orchestrée par la Warner autour de cet ultime opus de la trilogie a peut-être dépassé le réalisateur. La mort absurde de Marion Cotillard est le signe de ce malaise. Comment, sinon, expliquer pourquoi il a laissé passer ça ?
De même, le film semble s’adresser à des spectateurs considérés bien moins intelligents qu’« Inception ». A la fin, par exemple, au lieu de couper sur le visage du majordome (Michael Caine) faisant face à la caméra et regardant ce que tous les spectateurs avaient deviné, Nolan rajoute ce plan que tous s’étaient déjà imaginé… Un plan qui appesantit sa mise en scène et diminue grandement, malheureusement, la puissance de sa fin.
Il a donc fallu attendre la conclusion qu’est « The dark knight rises » pour que la trilogie se fasse rattraper par sa nature de blockbuster.

On retiendra…
De grands moments épiques, musique homérique d’Hans Zimmer, grande composition des acteurs : « Batman » est plus que jamais un opéra.

On oubliera…
La fatigue de la mise en scène : pour son prochain film, Nolan doit se renouveler.

« The dark knight rises » avec Christian Bale, Anne Hathaway, Marion Cotillard, Tom Hardy,…





[1] Il se peut aussi que les frères Nolan se soit laissé ici un espace pour l’écriture d’un spin-off dédié au personnage de Catwoman, comme le laisse penser certaines déclarations de Christopher Nolan, ce qui serait fort dommage…
[2] Finalement, cette idée de spin-off sur Catwoman n’est pas si inintéressante que ça pour ce réalisateur.

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