samedi 21 juillet 2012

Qualis artifex perditus est ! (To Rome with love)


Woody Allen, qui signe un film par an depuis 1977[1], a entrepris depuis « Match point » en 2005 un salutaire tour d’Europe. Or tous les chemins mènent à Rome… C’était donc inévitable qu’après Londres et Paris (où il a réalisé avec « Match point » en 2005 et « Minuit à Paris » en 2011 ses deux meilleurs œuvres récentes), Barcelone en 2008 (le moins réussi « Vicky Cristina Barcelona »), Woody Allen s’installât une année dans la capitale italienne. Ces éphémères escales européennes sont souvent plus intéressantes que les films new-yorkais qu’il réalise le reste du temps… Mais pas cette fois-ci.


Pâquerettes et pédiluve
Rome n’a pas inspiré le réalisateur-scénariste. Son choix de réaliser un film à sketchs se révèle être une erreur. Le scénario est mal construit, racontant quatre histoires qui n’interagissent jamais entre elles, et n’ayant qu’un trop vague thème commun – la célébrité, ce qui rend le film un peu incohérent. Le segment racontant la renommée soudaine de l’italien moyen joué par Roberto Benigni est, malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour l’acteur, complètement raté. Benigni a beau gesticuler, le scénario n’est pas drôle, et la réflexion sur la célébrité est ras des pâquerettes. Les segments où jouent Penelope Cruz et Woody Allen sont un peu meilleurs mais restent très mauvais. Woody Allen y abuse, comme d’habitude, des clichés locaux, mais ici c’est particulièrement lourd. Enfin, le segment où jouent Jessie Eisenberg et Ellen Page s’avère être le meilleur des quatre, justement pour ses acteurs : Ellen Page surprend par le changement de registre que lui demande l’interprétation de son personnage de mythomane, tandis que Jessie Eisenberg surprend mais pour la raison opposée. De film en film et de rôle en rôle, l’acteur conserve la même gestuelle pleine de tics, le même jeu !
Mis à part cette distribution, dans ce segment comme dans les autres, les lieux communs pleuvent sans aucune subtilité (comme par exemple déclencher un orage avec force coups de foudre lorsqu’Eisenberg tombe amoureux de Page) et la profondeur des thèmes abordés – ou plutôt ressassés par le réalisateur de film en film, tous plus ou moins similaires – est aussi renversante que celle d’un pédiluve.
Le tout est accompagné d’une musique insipide et dure près de deux longues heures pendant lesquelles on se retrouve à la limite de l’ennui. Seule la belle lumière de Darius Khondji et les quelques répliques drôles prononcées par Woody Allen acteur sauvent le film du désastre. On notera quand même que pour une fois, une partie non négligeable des dialogues n’est pas en anglais mais bien en italien - mais il en faut plus pour rafraîchir les dialogues d’Allen, qui ne supportent plus d’être recyclés année après année.
« To Rome with love » est le plus mauvais film que le réalisateur-scénariste ait signé depuis longtemps. Ce qui n’est pas très grave, puisqu’un nouveau long-métrage viendra effacer le souvenir de celui-ci l’an prochain, et l’année d’après encore…

On retiendra…
Trois acteurs réjouissent un peu : Jessie Eisenberg, Ellen Page et Woody Allen.

On oubliera…
Le scénario, qui accumule les clichés, les thèmes abordés, déjà traités – en mieux – par le réalisateur, la légèreté de la réflexion, la musique.

« To Rome with love » de Woody Allen, avec Woody Allen, Alec Baldwin, Roberto Benigni,…


[1] De 1966 à 1977 il lui fallait entre un et trois ans pour réaliser un film.

vendredi 20 juillet 2012

9 fois le chef-d’œuvre de l’année (Holy motors)

Cet été 2012 s’avère exceptionnel. Après le choc de « Faust », un autre film se propulse dans la constellation - pour le moment réduite - des films marquants de l’année.  Avec « Holy motors », Leos Carax signe le meilleur du cinéma français depuis la Palme d’or d’ « Entre les murs ». Pourquoi « Holy motors » n’a-t-il pas remporté la Palme d’or cette année, ni aucun autre prix, c’est un mystère que l’on tentera de résoudre lors de la sortie à la rentrée des films primés de la sélection officielle. On ne peut même plus expliquer l’attribution du prix du jury au dernier film très mineur de Ken Loach, « La part des anges », pour sa qualité de seule comédie au milieu d’une sélection officielle très funèbre. « Holy motors » est en effet mille fois plus drôle. C’est même le film le plus drôle de l’année. Mais aussi le plus mélancolique. Le plus beau. Le mieux interprété. Le plus bizarre. En un mot, le meilleur.


Avertissement
                A quelques exceptions près, il vaut toujours mieux ne rien savoir d’un film avant de le regarder, pour ne pas diminuer la surprise de sa projection. C’est pourquoi j’enjoins tout lecteur de cet article n’ayant pas encore vu le film à quitter toute affaire cessante cette page, pour se rendre illico au cinéma voir « Holy motors ». Les autres peuvent continuer leur lecture.

Le cinéma incarné en un film
                Leos Carax n’avait pas tourné de longs-métrages depuis treize ans. D’où peut-être la multiplicité des « rendez-vous » de Monsieur Oscar (plus ou moins neuf), chacun étant presqu’un film à lui tout seul. Ainsi, avec une seule œuvre, Leos Carax raconte beaucoup plus que certains réalisateurs en dix films. Pourtant, « Holy motors » n’est absolument pas un film à sketchs, car il n’y a pas d’interruptions entre les rendez-vous, sinon un retour à la limousine blanche – que l’on croirait avoir déjà vue dans « Cosmopolis » de Cronenberg – où Denis Lavant entame la transition d’un personnage à un autre.
                Cette structure géniale permet au réalisateur d’évoquer aussi bien l’ensemble de sa filmographie que toute l’histoire du cinéma (y compris son futur !), et de tracer un formidable portrait du métier d’acteur. Tous les « rendez-vous » sont exceptionnels. Mais s’il fallait n’en choisir qu’un, je citerai la séquence en motion capture – pour avoir réintroduit de la poésie dans le cadre extrêmement appauvrissant du tournage sur fond vert -, la rencontre de Monsieur Merde avec Eva Mendes – pour la folie joyeuse de cette créature, la plus belle création du duo Lavant-Carax -, l’entracte dans l’église – un plan-séquence exclusivement musical magnifiquement réalisé -... Mais n'avais-je pas dit "un" rendez-vous ? Tous pourraient être cités et également loués.

Identité(s) ?
                Sans oublier la formidable introduction qui annonce la poésie de la suite, où le réalisateur lui-même se réveille, puis traverse sa chambre pour rejoindre un écran de cinéma. Le cinéma est tout pour Carax, et il s'y livre tout entier à travers Denis Lavant, qui réalise par ses multiples transformations la plus impressionnante performance d'acteur vue depuis bien longtemps. « Holy motors » ne fait pas non plus exclusivement référence au cinéma, au détail près que la réalité est cinéma selon Carax. On y retrouve quelques thèmes actuels (la finance, la fracture sociale, la crise, le voile (!)) mais c'est surtout un film vertigineux sur l'identité. Rien n'y est sûr, sinon qu'il continuer à enchaîner les rendez-vous. Après un long sommeil forcé, Carax est de retour !

On retiendra…
Les idées ahurissantes d'inventivité du réalisateur, que ce soit au niveau du scénario comme de la mise en scène, les transformations de Denis Lavant, l’intense émotion qui parcourt le film.

On oubliera…
C’est le genre de films qui me fait regretter d’avoir créé cette rubrique dans mes critiques.

« Holy motors » de Leos Carax, avec Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Denis Lavant, Edith Scob, Eva Mendes, Kylie Minogue,…

dimanche 15 juillet 2012

Du partage du sérieux et du rire (La part des anges)


Ken Loach, bientôt trente films et vingt téléfilms, ne cesse d’être sélectionné en compétition à Cannes. Or, depuis sa Palme d’or en 2006 pour « Le vent se lève », le réalisateur anglais est en petite forme. Après avoir signé le très mauvais « Route irish », pourtant intégré de justesse – par erreur, on l’espère – à la sélection officielle du festival de Cannes de 2010, Loach est donc revenu sur la Croisette cette année avec une comédie, « La part des anges ». Un film qui lui a permis d’obtenir son troisième prix du jury…


Grand écart
Il est encore trop tôt pour juger de la pertinence d’un tel prix étant donné qu’à moins d’être festivalier la majeure partie de la sélection cannoise n’est pas encore sortie sur nos écrans. Et pourtant, force est de constater qu’avec « La part des anges » Loach ne signe pas un grand film. La faute à un scénario trop ambitieux, qui essaye de mêler les extrêmes. On est d’abord intrigué par ce mélange de comédie et de chronique sociale chère à Ken Loach, deux « genres » opposés par bien des aspects et auxquels sont (plus ou moins) consacrés chacun une moitié du film.
Le grand écart éveille l’attention : comment Loach s’en sortira-t-il pour réaliser un tout cohérent ? Il n’y arrive pas. Malgré un bon départ, les déboires du jeune Robbie ne convainquent pas, à cause d’une interprétation des acteurs pas toujours à la hauteur. Ils se heurtent surtout de plein fouet au registre beaucoup plus léger de l’autre moitié du film, centrée sur une vente aux enchères d’un fût exceptionnel de whisky. Au lieu de faire respirer le film, les intermèdes comiques de cette première moitié le rendent boiteux. Le réalisateur s’est révélé incapable de réaliser la transition d’un registre à l’autre, ce qui devient manifeste une fois basculé complètement dans la comédie : le ton grave du début est alors complètement évacué. Et on est déçu de comprendre que, loin d’essayer de mêler habilement les deux registres, le réalisme de la première partie ne servait qu’à définir les motivations des personnages de la seconde. La cassure est nette. Ken Loach, soixante-seize ans cette année, est-il fatigué ?

Humour salvateur
Toutefois, le réalisateur anglais sauve son film par cette réjouissante partie comique, heureusement réussie. Les quelques facilités du scénario (un personnage de benêt pas du tout original) se font facilement oublier grâce au cadre atypique de cette comédie : la production et la dégustation de whisky. Un optimisme final revigorant, mais qui, lorsqu’on le considère dans son ensemble, rend encore plus bancal ce vingt-cinquième long-métrage de Ken Loach. Cependant récompensé d'un prix du jury à Cannes. Le palmarès cannois 2012 n'a pas fini de nous étonner.

On retiendra…
La partie comique du film, et son cadre inhabituel : la dégustation de whisky.

On oubliera…
Les figures comiques du film ne se mêlent jamais à la partie réaliste du film. Face à ce conflit, le réalisateur évacue complètement la chronique sociale pour ne se concentrer que sur la comédie.

« La part des anges » de Ken Loach, avec Paul Brannigan, John Henshaw, William Ruanne,…